La Région Ile de France a organisé la semaine dernière sa conférence régionale pour le climat et la présidente de la RATP a fait une intervention des plus intéressantes et des plus pragmatiques sur l'encombrement de l'espace public : « La circulation à Paris est devenue invraisemblable » a-t-elle répété par deux fois. Au-delà de ce constat, Mme Guillouard a appelé à un changement de dimension dans la réflexion. « Il faut qu’on ait, à un moment donné, une vision stratégique de l’utilisation de l’espace dans les villes […] On va devoir avancer sur ces sujets si on ne veut pas avoir des conflits d’usage, une multiplication des incidents et surtout de la non-efficience. » Et on sait très bien que la non-efficience encourage le statu quo... et donc la domination de l'automobile.
Paris - Avenue de Saint Ouen - 23 juillet 2020 - Dans le cas présent, pas sûr que cet aménagement soit tactique... à moins d'assumer la gêne aux transports en commun. Certes, c'était déjà difficile mais il y avait au moins un sens où les autobus avaient une voie réservée. On notera d'ailleurs que même pour les vélos, l'améngement est tout de même mal réalisé, comme le prouve cette bordure de béton posée en travers. © transportparis
L'augmentation de 70% de l'usage du vélo en région parisienne, notamment à Paris et en première couronne, est un chiffre de prime abord impressionnant... mais il faut savoir d'où on part, c'est-à-dire d'assez bas même si le développement de Vélib' avait déjà impulsé le mouvement. Cela dit, la fulgurance du mouvement est pour partie à l'origine de la situation actuelle, qui génère de nombreuses crispations et poussées agressives (le comble pour un mode de transport dit « doux »). Il apparaît plus que jamais nécessaire de penser collectif dans une nouvelle poussée individualiste exacerbée par la crise sanitaire, faisant ressurgir les mêmes comportements que l'on reprochait précédemment aux automobilistes. On peut aussi noter l'amorce d'un mouvement qui commence à mettre en avant les excès et le besoin de cette efficience évoquée par Mme Guillouard. Il est intéressant de lire les réactions à l'article publiée par Olivier Razemon, chroniqueur du Monde, sur son blog L'interconnexion n'est pas assurée à ce sujet : le propos développé semble parfois enjoliver la situation et les commentaires pointent des problèmes de cohabitation, donc la nécessité de changer de dimension et de passer à une vision d'ensemble dans l'organisation de l'espace public. Son titre peut d'ailleurs inquiéter : pas plus qu'à la voiture, la ville ne doit pas s'adapter au vélo... mais à la diversité des besoins et des usages en intégrant quelques fondamentaux : le primat du piéton, des modes de transport propres et économes en espace, la rationalisation de la circulation, la préservation des fonctions économiques indispensables à la vie des quartiers.
La déclaration de la RATP va dans ce sens d'une réflexion la plus large possible, n'oubliant ni les transports en commun, ni les livraisons, bref, qui intègre la vie économique d'une mégapole. On note tout de même des évolutions qui vont plutôt dans le bon sens, mais par saccades pas toujours coordonnées. Par exemple, le couloir pour les autobus de la rue Auber, dans le sens Haussmann - Opéra, a été élargi, ce qui offre un meilleur confort pour les autobus qui peuvent plus commodément dépasser les cyclistes (si ceux-ci roulent en file). En revanche, sur la rue du Havre, la double piste cyclable a pris une voie de circulation et les autobus sont encore un peu plus mêlés à la circulation générale, tandis qu'ils ont déserté la rue d'Amsterdam entre la place de Clichy et la gare Saint Lazare (empruntant dans les 2 sens l'itinéraire par la place de l'Europe).
Paris - Rue Auber - 6 septembre 2020 - Une seule voie de circulation générale sur la rue Auber et le couloir descendant nettement élargi, ce qui permet aux autobus de doubler aisément les cyclistes : c'est mieux. En attendant, le fabricant de ces quilles jaunes est heureux car son chiffre d'affaires doit être lui aussi en forte hausse... © transportparis
La RATP aura aussi probablement quelques dossiers à prendre en charge : s'il est vrai que les conducteurs d'autobus doivent parfois faire preuve d'un calme olympien dans la circulation, la régulation de l'exploitation a bien régressé au cours des dernières années, principalement pour des raisons d'économie. Autre domaine où la régie a un impérieux besoin d'amélioration : l'information des voyageurs, avec un nombre ahurissant d'écrans aux arrêts et dans les véhicules qui sont en panne, non installés ou illisibles (la première génération SIEL).
Mais il faudra probablement aller beaucoup plus loin : il serait déjà intéressant d'indiquer le coût des mesures de cet « urbanisme tactique » car si la Ville de Paris annonce vouloir pérenniser les aménagements réalisés depuis 6 mois, il est évident que cela ne pourra pas rester dans cet état temporaire à coups de peinture jaune, de quilles en plastique fluorescent et de blocs de béton.
Paris - Rue Tronchet - 6 septembre 2020 - Un couloir d'autobus en moins ! la piste cyclable à double sens entre le boulevard Haussmann et la place de la Madeleine a entrainé la disparition du couloir réservé aux autobus dans le sens sud-nord. © transportparis
Il n'est d'ailleurs pas tout à fait normal que ce soit l'opérateur de transports en commun qui, le premier, appelle à un peu de cohérence : cet épisode prouve une nouvelle fois que l'organisation territoriale de l'agglomération parisienne n'est pas efficiente, pour reprendre le terme de la présidente de la RATP, car bien trop morcelée. C'est particulièrement le cas dans le domaine des transports.
Néanmoins, l'enjeu reste de taille : la réduction de la pollution, des nuisances, l'amélioration de la qualité de vie, la notion de densité durable contre la tentation d'un étalement urbain encore plus important qu'aujourd'hui, dont on sait qu'il condamne à un usage plus important de la voiture. Plus que jamais, les transports en commun apparaissent comme un facteur de cohésion et le facteur déclencheur d'une réorganisation de grande ampleur de l'espace public.
Il faudra donc aller au-delà de petites mesures, comme la réorganisation des lignes d'autobus de Paris et de quelques communes limitrophes, qui n'a pas fondementalement changé la perception de l'offre de transport. La rupture peut avoir un nom : le tramway ! C'est autour de nouvelles lignes que pourrait vraiment être réorganisé l'espace public, accordant une place de choix aux transports en commun, les plus à même d'optimiser le ratio espace occupé / voyageur transporté, au profit des piétons, puis des vélos, sans pour autant négliger le besoin d'espaces de circulation et de stationnement commodes pour les entreprises, les commerces et les véhicules d'intervention.
Paris - Boulevard Masséna - 15 décembre 2012 - Le tramway des Maréchaux incarne une autre conception de l'espace public en essayant de concilier les différents usages et les différentes activités. Les transports en commun asseoient leur position centrale mais le vélo n'a pas été oublié avec la réalisation de pistes cyclables, tout en dégageant de vastes trottoirs, une capacité suffisante de la chaussée et un cadre de vie plus agréable que ce qu'il était auparavant. A reproduire non plus seulement sur cette rocade mais aussi dans Paris (et évidemment sur nombre d'axes de petite et moyenne couronne)... © transportparis
On entend déjà les critiques : c'est cher, c'est long à réaliser... mais Paris ne s'est pas faite en un jour, et il faut bien commencer. Or en la matière, mise à part la rocade des Maréchaux, le sujet est au point mort et il a fallu de contenter d'un toilettage du réseau d'autobus en 2019.
Certes, ce n'est pas la réponse universelle mais elle pourrait assurément apporter un peu plus de méthode dans l'évolution de la voirie. Soyons ouverts : comme justement Paris (et surtout son ancien réseau de tramways) ne se (re-)fera pas en un jour, on pourrait peut-être commencer par de vraies lignes de BHNS en site propre ou avec un maximum de voies vraiment réservées, avec des autobus articulés ?
PS : reportage à TF1 20 heures le 27 septembre 2020 à Paris et Toulouse.
Je note une augmentation de l'agressivité des chauffeurs de bus qui n'existait pas auparavant et je les comprends...
Les aménagements à Paris semblent être décidés au niveau de l'arrondissement et pas au niveau de la mairie centrales. Par exemple dans le 16ème il n'y a quasiment pas d'aménagement pour les vélos. On voit bien qu'il y a une volonté de ne pas favoriser le vélo. On est en train de combler les tunnels de Maillot et Champerret alors qu'ils auraient pu être récupérés pour les vélos. Passer les portes Maillot et Dauphine à vélo est assez sportif (voire délirant à Maillot avec des pistes qui commencent et ne finissent pas...).