2000-2020 : les transformations du parc bus de la RATP
Avec près de 4400 véhicules au parc en 2014, la RATP est le plus important exploitant d’autobus de France. Les marchés destinés au réseau parisien constituent un manne importante pour le secteur industriel. Depuis le début des années 2000, l’entreprise a entamé une politique de diversification de ses fournisseurs, coïncidant avec le retrait des derniers autobus Standard SC10 en 2002.
L’objectif est de pouvoir susciter une certaine émulation entre les constructeurs, et de comparer les différentes solutions techniques proposées. Parmi les critères déterminants pour un opérateur, citons évidemment la fiabilité, les coûts d’exploitation et de maintenance, la consommation de carburant et l’aspect environnemental puisque les normes de réduction des émissions polluantes deviennent de plus en plus sévères.
L’arrivée des premiers autobus hybrides mais aussi des premiers véhicules électriques a constitué un autre tournant dans le parc de la RATP engagée dans une transition énergétique prometteuse mais peut-être plus complexe qu'il n'y paraît à concrétiser.
Le tournant de l’accessibilité
Si la gestion quotidienne de la circulation constitue le principal obstacle à une accessibilité réelle du réseau d’autobus, du fait du laxisme des autorités à l’égard notamment des livraisons et des taxis, les exploitants n’ont d’autre choix que de faire preuve d’exemplarité pour l’accès des personnes à mobilité réduite. Ainsi, en 2002, le retrait des derniers SC10, puis en 2012 la fin des R312 généralisait à l’ensemble du réseau des autobus à plancher bas. Plus récemment, le retrait des Agora, à plancher bas mais sans palette sous la porte centrale, mettait en conformité le parc avec les normes d'accessibilité.
Maisons Laffitte - Avenue de Verdun - 7 mars 2010 - Les R312 livrés entre 1988 et 1995 ont été frappés par la réforme dans le double objectif de dépolluer et de rendre accessible la flotte d'autobus. Les derniers R312 ont été réformés en 2012. © transportparis
Un parc de moins en moins polluant
En 2002, l’argument ayant entraîné l’anticipation de la réforme des derniers SC10 était l’obsolescence de leur motorisation et les taux élevés de particules émises. Parallèlement, l’adoption des normes Euro3, Euro4, Euro5 et désormais Euro6 a permis de diminuer considérablement les rejets émis par les moteurs Diesel des autobus franciliens.
Courbevoie - Place de Belgique - 14 juillet 2012 - Les Agora V3 ont été équipés d'un moteur Iveco répondant à la norme Euro3. Plus puissants (290 CV contre 206 CV), ils sont en outre climatisés et accessibles. © transportparis
Néanmoins, la forte médiatisation des effets sur la santé de ce type de combustion appelle irrémédiablement à une diminution progressive de sa présence mais il sera économiquement difficile de précipiter la disparition des autobus Diesel, surtout en période de restriction budgétaire. Il faudra assurément jouer sur d’autres leviers, comme la fluidité de la circulation des autobus afin d’abaisser la consommation de carburant ce qui, à Paris, est loin d'être une évidence, puisque la vitesse commerciale ne cesse de baisser pour s'établir autour de 8,5 km/h. En cause et pêle-mêle : la prolifération de feux tricolores, l'ouverture des couloirs de bus aux vélos, l'anarchie régnant dans le domaine des livraisons, l'augmentation du trafic, la réduction de la largeur de certaines voiries, et pire, la suppression de certains couloirs de bus pour réaliser des pistes cyclables...
Les échanges de voyageurs : une faiblesse persistante
En dépit du trafic considérable des lignes d’autobus, le maintien d’un aménagement des autobus standard à 2 portes ou à 3 portes sur les véhicules articulés apparaît de plus en plus incongru. Cette disposition entraîne une mauvaise répartition des voyageurs avec une surconcentration à l’avant. C’est surtout le maintien du principe de montée par l’avant sur les autobus standard qui « légitime » le maintien de ces configurations, au prix d’un allongement des temps d’arrêt et donc de coûts d'exploitation en termes de consommation de carburant. Or au quotidien, la montée par la porte centrale est un phénomène courant face à la saturation de nombreuses lignes.
Saint Denis Université - 10 septembre 2011 - Depuis l'arrivée des derniers R312 à 3 portes en 1993, la RATP ne commande plus que des autobus standards à 2 portes. Cette disposition ne facilite pas le service, ni un confort satisfaisant puisque les voyageurs restent entassés entre les deux portes avant et milieu. Sur les Lion's City, la porte centrale a été reculée au maximum. © transportparis
En revanche, les lignes en autobus articulés étant exploitées en libre-service, l’acquisition de voitures à 4 portes a finalement été décidée et les 77 Citaro C2G ont été les premiers véhicules ainsi configurés, suivis des Urbanway 18, à l'exception des voitures destinées à Orlybus, privilégiant la capacité assise.
La Courneuve - Carrefour des Six Routes - 23 août 2016 - Enfin des autobus articulés à 4 portes : moins de places assises mais une meilleure distribution des voyageurs dans le véhicules. © transportparis
En 2019, on a vu réapparaître furtivement des autobus standards à 3 portes, avant que l'année 2021 n'illustre la décision d'Ile de France Mobilités de généraliser cette configuration à toutes les acquisitions de matériel urbain neuf.
Paris - Place de la Nation - 21 mars 2021 - Les nouveaux autobus électriques - ici un Bluebus deuxième mouture - reçus depuis 2021 renouent avec une architecture à 3 portes pour fluidifier au maximum les échnages de voyageurs aux arrêts. © Th. Assa
La diversification des fournisseurs
Les décennies 1960, 1970 et 1980 ont été marquées par une forte homogénéité des commandes, au travers des autobus standard puis de leurs successeurs. Le succès du SC10 de Saviem, au détriment du PCM-R de Berliet, et sa commercialisation pendant 23 ans, y compris après la constitution de Renault Véhicules Industriels, ont fortement marqué la gestion du parc parisien. L’arrivée du R312 puis de l’Agora perpétua ce mouvement.
Les années 2000 sont assurément celles de la diversification, d’abord pour des besoins spécifiques, notamment les services autoroutiers et dessertes aéroportuaires. Ainsi le Citaro de Mercedes fut retenu pour succéder aux PR100.2 sur les premiers, tandis que l’Omnicity de Scania prit la relève du PR180.2 sur Orlybus.
Place Denfert-Rochereau - 16 juin 2007 - Pour remplacer les PR180.2, la RATP avait retenu l'Omnicity de Scania pour l'Orlybus, avec des aménagements spéciaux liés à la desserte de l'aéroport et une motorisation adaptée au trajet autoroutier. © transportparis
Le mouvement fut amplifié avec l’ouverture des marchés de la RATP et leur allotissement. C’est ainsi que MAN remporta successivement trois lots, avec le NL223 d’abord, puis le NG272 articulé et le NL255 (tous deux issus de la gamme Lion’s City) et enfin avec le NL204 hybride.
Paris - Place de Finlande - 15 juin 2013 - MAN avait effectué une percée notable avec son NL223 apparu en 2003 et commandé à 206 exemplaires. Souple et robuste, il est cependant apparu un peu plus bruyant que les véhicules concurrents. © transportparis
Paris - Place des Peupliers - 22 avril 2012 - L'Omnicity et son allure rondouillarde fait également partie de la stratégie de diversification des fournisseurs, mais son aménagement intérieur n'est pas des plus optimisés. © transportparis
Autre nouvel arrivant, Scania, qui après avoir fourni le nouvel Orlybus, remporta un marché de véhicules urbains de 12 m, marqués toutefois par un aménagement intérieur non optimisé, notamment en partie avant, du fait de la position du réservoir. Mercedes a réussi à se repositionner avec une nouvelle série de Citaro restylés en version 12 m et, plus récemment avec sa nouvelle gamme Citaro C2, en version articulée, retenue dans le cadre de l’équipement à terme d’une vingtaine de lignes en manque de capacité.
RVI devenu Irisbus a conservé une position dominante, avec la fin de carrière de l’Agora et son évolution Citélis, faisant évoluer à la marge son autobus à plancher bas développée en 1995. Cependant, la version « Line » de l’Agora, à moteur transversal, souffre d’une fiabilité moyenne, de nombreuses indisponibilités, mais aussi d’une boîte de vitesses misant sur la moindre consommation au détriment des performances. Ces points restent néanmoins imperceptibles pour les usagers. Au reste, la position du moteur a toutefois permis l'ajout de quatre places assises.
Ne donnant pas satisfaction et nécessitant une rénovation lourde du fait d’une usure prématurée des caisses et des châssis, les Agora Line ont cependant été emmenés à 17 ans. Si les premières commandes de Citélis reconduisaient la même implantation du moteur, l’arrêt de sa production à l’initiative d’Irisbus a entraîné le retour à la motorisation verticale, apparue sur le R312 dès 1988.
Chatillon - Rond Point Charles de Gaulle - 20 avril 2013 - Les Agora Line auront eu une carrière émaillés par une fiabilité médiocre et des performances anémiques malgré une puissance de 257 CV : en cause, un mauvais étagement de la boîte de vitesse. En outre, les vibrations nombreuses du moteur ne procurent qu'un médiocre confort en plus de solliciter le châssis. © transportparis
En revanche, en version articulée, Irisbus est restée fidèle à cette implantation « historique » sur l’Agora comme sur le Citélis. Toutefois, l’aménagement intérieur des Agora s’est avéré plus judicieux que celui du Citélis, marqué par l’obstruction de 4 places assises en partie avant, du fait du nouvel emplacement du réservoir, récupérées face à la porte arrière. De fait, le Lion’s City prend l’avantage sur le Citélis.
Maisons Alfort - Carrefour de la résistance - 7 avril 2013 - Les Citélis Line puis Citélis Line ont constitué la majorité des commandes d'autobus standard par la RATP. Ce modèle sera remplacé par l'Urbanway dont les livraisons sont prévus dès 2014. © transportparis
Enfin, en 2014, la RATP a renoué avec les productions Heuliez. On se souvient qu’outre deux GX187 en essais dans les années 1980, le partenaire de RVI n’avait été retenu que pour une première tranche d’autobus à plancher bas en 1995 avec le Citybus GX317 livré en version deux et trois portes, en attendant la commercialisation de l’Agora. Heuliez fournit des GX427 Hybrides dans le cadre de l’expérimentation grandeur nature de ce type de motorisation.
Réduction des moteurs Diesel : la diversification s'amplifie
Avec l'objectif d'abandon du gasoil, la RATP a lancé trois pistes pour la transition énergétique de son parc :
- la motorisation hybride ;
- la relance de la filière biogaz ;
- le véhicule électrique à batteries.
MAN a tiré son épingle du jeu avec les deux premières solutions, plaçant deux nouvelles versions du Lion's City. Iveco Bus a aussi placé son Urbanway, d'abord en motorisation hybride puis au biogaz. Heuliez a effectué une percée assez nette sur ces mêmes filières avant de faire partie des lauréats de l'appel d'offres portant sur 780 autobus électriques.
Paris - Rue de Vaugirard - 27 avril 2016 - Heuliez a réussi à pénétrer les marchés de la RATP avec son GX337 dont 238 exemplaires ont été acquis dans la version hybride. Une version au biogaz a été lancée au printemps 2019 et une version électrique sera prochainement livrée. © transportparis
Nanterre - Place de La Boule - 9 octobre 2016 - Après l'Agora et le Citélis, l'Urbanway constitue la dernière évolution de l'autobus à plancher bas français (croisé avec un peu de conception italienne), présenté ici en version articulée, à 4 portes et à motorisation hybride. © transportparis
Créteil - Avenue Charles de Gaulle - 15 février 2017 - La relance de la filière au biogaz amorcée au dépôt de Créteil a donné l'occasion à MAN de placer une version supplémentaire de son Lion's City après la motorisation Diesel et la déclinaison hybride. © transportparis
Néanmoins, c'est sur cette troisième piste que sont apparues de nouveaux protagonistes. D'abord le groupe Bolloré, qui a investi le secteur en partant d'une feuille blanche au prix d'une gestation délicate du Bluebus dont la mise en service est intervenue en octobre 2016 sur la ligne 341 Porte de Clignancourt - Etoile. Doté de 8 batteries de 34 kWh, le constructeur annonce une autonomie de 220 à 280 km. L'aménagement intérieur est plutôt classique, mais réussi, et l'ajout de baies dans les voussoirs, comme sur les autobus Chausson des années 1950, accentue la luminosité intérieure.
Montreuil - Rue Pasteur - 5 janvier 2018 - Le Blueblus dans la nouvelle livrée francilienne, légèrement égayée par... du bleu ! La RATP mise beaucoup sur autobus électrique à batteries, mais le coût de ces véhicules fait question. Il était question d'un marché de 1000 voitures... mais Ile de France Mobilités a réduit la voilure à 780 autobus compte tenu de l'addition finale. © transportparis
Paris - Rue Dubois - 17 septembre 2016 - Sur la colline de Montmartre, les Oreos 4X électriques sont tout de même bien plus efficaces que les autobus Diesel qui avaient été engagés suite aux problèmes rencontrés sur les Oreos 55E, pionnier en matière d'exploitation électrique à énergie embarquée sur le réseau parisien. © transportparis
L'autre nouveau constructeur n'est pas franchement inconnu : Alstom s'est effectivement lancé sur ce créneau, en essayant de tirer profit de la compétence routière de Translohr, en développant Aptis, un autobus de 12 m à l'allure atypique avec ses 4 roues directriques situées aux 4 coins du véhicules. L'annonce d'une commande de 50 véhicules par la RATP, suivant des marchés de plus faible taille à Grenoble et Strasbourg, alors qu'Aptis était encore au stade du prototype, a pu surprendre plus d'un observateur.
Enfin, Heuliez a confirmé sa percée sur le marché parisien avec la version électrique du GX337. Par conséquent, il n'y a pas eu - du moins cette fois-ci - de déferlante chinoise avec Yutong ou BYD, ni de poussée espagnole avec Irizar. Reste que l'autonomie journalière du bus électrique à batteries demeure un peu juste.
Autre transformation, qur vous aurez remarquée au fil des illustrations de ce dossier : la livrée des autobus.