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transportparis - Le webmagazine des transports parisiens

Le barreau de Gonesse : chronique d'un projet inutile

Un barreau pour un triangle très convoité

Depuis le milieu des années 1990, des études s’intéressaient à l’accessibilité à la zone logistique et à l’aéroport de Roissy depuis le reste du département du Val d’Oise. A partir de 2004, le projet d’une liaison entre le RER B et le RER D émergeait avec 3 fuseaux de tracés situés entre les gares de Garges-Sarcelles et de Goussainville et aboutissant dans le secteur de la gare du Parc des Expositions de Villepinte. Le projet fut alors inscrit au Schéma Directeur de la Région Ile de France.

L’émergence du projet du Triangle de Gonesse à partir de 2008 renforça la commande politique. Le groupe Auchan a l’ambition de créer un complexe commercial et de loisirs d’une ampleur inédite : Europa City concentrerait 230 000 m² de commerces, 2700 chambres d’hôtel, 22 000 m² de restaurants, 3 parcs de loisirs totalisant 100 000 m², une concentration d’équipements culturels, et même une ferme et un parc d’aventures. Un enjeu colossal, à 2 MM€ pour ce spécialiste de la grande distribution. Pas de logements à cause de la forte exposition au bruit du fait de la proximité de l’aéroport. Bref un projet qui ne peut exister qu’à condition d’être connecté par des réseaux de transport à une vaste aire de chalandise. Et donc le groupe Auchan a fortement pensé pour obtenir une bonne desserte du Triangle de Gonesse, par le Grand Paris Express et par le RER.

De prime abord, peu d'opposants au projet... du moins parmi les élus locaux. Pourtant, le secteur est déjà largement couvert en centres commerciaux à 5 km à la ronde. Un de plus donc, alors même que les récentes réalisations connaissant un moindre succès avec des surfaces inutilisées.

Le Triangle de Gonesse est une des rares zones maraîchères dans l'agglomération parisienne, mais sous couvert de promesses d'emplois par centaines, promesses qui n'engagent que ceux qui les croient, il y a peu de monde pour chercher à la préserver, et préserver le secteur des conséquences sur l'imperméabilisation des rares terrains non encore bétonnés. Pourtant, la France s'est engagée à réduire de moitié l'imperméabilisation des terres agricoles d'ici 2020, mais la courbe est loin de s'être inversée.

Dans ce contexte déjà passablement délicat, RFF était chargé de lancer les études préliminaires aboutissant en février 2011 au Document d’Objectifs et de Caractéristiques Principales. Le lancement de la concertation publique a permis d’aboutir à un tracé privilégiant l’option centrale.

Connecter deux lignes de RER

Le barreau de Gonesse consistait en la création d’une branche sur le RER D entre les gares de Villiers le Bel et du Parc des Expositions (sur le RER B), desservie toutes les 15 minutes par le prolongement de la mission actuellement terminus Villiers le Bel. Elle offrirait alors une capacité de 10 400 places par heure et par sens. Longue de 9,8 km, elle prévoyait une gare intermédiaire au Triangle de Gonesse. Elle aurait été en correspondance avec les projets de BHNS et de métro automatique (ligne 17). Le temps de parcours aurait été de 10 minutes entre Villiers le Bel et Parc des Expositions, avec une infrastructure pouvant admettre une vitesse maximale de 120 km/h. Cette branche devait accueillir 4400 voyageurs par heure de pointe, deux sens cumulés. Le besoin en matériel supplémentaire était évalué à 2 trains soit 4 éléments Le coût du projet était compris entre 300 et 320 M€.

carte-barreau-gonesse

Un fort soutien politique, des questions parmi les usagers

Le projet a été ardemment soutenu politiquement, notamment par le Val d’Oise et les maires des communes concernées par le « désenclavement » et surtout intéressés à la réussite du projet du Triangle de Gonesse, présenté sans surprise comme un enjeu majeur pour changer l’image d’un territoire marqué par un fort taux de chômage. Les arguments les plus grossiers sont toujours bons pour faire passer des pilules de plus en plus volumineuses...

En revanche, les associations d’usagers ont été d'emblée plus circonspectes : SADUR, qui regroupe des usagers du RER D, se montra vigilante quant à l’impact sur l’exploitation d’une ligne déjà fragile ; la FNAUT s’interrogea sur le manque de cohérence entre les différents projets de transport qui se superposaient (BHNS, RER D, ligne 17) dans un secteur économiquement très convoité mais pour lequel peut encore planer le risque d’une réduction de voilure du fait de la conjoncture. Autres opposants : les associations environnementales et les derniers propriétaires fonciers, exploitants agricoles. Somme toute, peu de monde face aux puissants de la grande distribution, au propos largement relayé par les élus locaux.

Autre interrogation, la desserte de 5h à minuit pouvait poser question puisque la plateforme de Roissy, dont l’amélioration de l’accès est visée par le projet, fonctionne surtout en horaires décalés. Restait donc l’accompagnement du projet du Triangle de Gonesse.

Enfin, l’échéance de mise en service, annoncée en 2020 parut à la fois trop lointaine par rapport aux intentions affichées par le projet du Triangle dont les premières tranches doivent être en principe réalisées en 2017 et trop proche par rapport aux réalités du temps ferroviaire. Or le plan de financement n’a pas réussi à être bouclé. L’échéance demandée de 2017 par les élus locaux était totalement irréaliste étant donné qu’à mi-2014, les travaux n’avaient toujours pas débuté... et fin 2016 non plus ! En avril 2012, le STIF avait néanmoins demandé à RFF de poursuivre les études et de préparer l’enquête publique : encore trop tôt pour appraître comme l'opposant au progrès économique et à la réussite des territoires (selon les termes des promoteurs).

3 projets pour un territoire ?

Parallèlement, les travaux du bus en site propre entre les gares de Villiers le Bel et du Parc des Expositions ont débuté en 2014 pour une mise en service en novembre 2016. Après l’enquête publique menée en juin-juillet 2013, le Préfet du Val d’Oise avait déclaré d’utilité publique le projet en janvier 2014. D’un coût de 34 M€, la ligne 20, longue de 10 km desservant 8 stations, propose une desserte toutes les 6 minutes en pointe et tous les quarts d’heure en journée, avec un temps de parcours de 28 minutes. Il assure une relation relativement rapide à 22 km/h de moyenne avec une irrigation correcte du territoire, notamment de la ville de Gonesse. Son rôle est clairement orienté vers la desserte fine en rabattement sur les gares du RER B et du RER D. Il devrait transporté environ 7200 voyageurs par jour.

Le Triangle de Gonesse est aussi sur le tracé de la ligne 17 Pleyel – Roissy que l'Etat n'a cessé de soutenir accélérer pour une mise en service avant 2025 et non après comme dans le schéma validé en 2013. Une gare de correspondance avec la branche du RER D et la ligne de bus 20 était prévue.

Epilogue

L'opposition à l'aménagement du Triangle de Gonesse finit par obtenir gain de cause, du moins temporairement. La focalisation de l'Etat sur le maintien de l'intégrité du Grand Paris Express a conduit à soutenir bec et ongles la ligne 17, qu'importe si elle est de nature à doublonner CDG Express et à siphonner une partie de sa chalandise.

Le bilan socio-économique du projet, particulièrement négatif, a conduit en 2014 le STIF à mettre en sommeil le projet en demandant une réorientation des investissements vers d'autres projets au bénéfice du RER D.

En matière d'infrastructures lourdes, rappelons note proposition dans le schéma directeur des tramways parisiens : si une offre par bus apparaissait insuffisante à l'issue d'une étude de prévision de trafic, une mutation du T5 en tramway classique, prolongé par une ligne rapide jusqu'au RER B autorisant une vitesse de pointe de 70 à 90 km/h avec un matériel plus performant que le tramway habituel, ce qui coûterait bien moins cher que le barreau de Gonesse et la ligne 17 réunis, pour une moindre consommation d'espace.

Mais la politique des transports parisiens saura-t-elle un jour devenir raisonnable en cessant de faire miroiter de grands desseins faciles à dessiner... tant qu'on ne s'interroge pas sur leur utilité réelle et leurs conséquences réelles sur le territoire et leur diversité ?

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