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transportparis - Le webmagazine des transports parisiens

La ligne 11 : la dernière des historiques

L’histoire de la onzième ligne du métro parisien est assez atypique, ne serait-ce que du fait de son statut de « dernière ligne historique » du réseau. Les lignes 12 et 13 sont en effet plus anciennes, créées par la Compagnie du Nord-Sud au début des années 1910.

Succéder au funiculaire de Belleville

Avant le métro, la desserte du quartier de Belleville avait bénéficié en 1891 de la création d’un funiculaire implanté sur la rue du même nom. La population de ce village annexé en 1860 avait été multipliée par 33 durant la première moitié du 19ème siècle. Le quartier était peu desservi par les omnibus et tramways, notamment en raison de sa topographie. Long de 2 km, il partait de la place de la République et rejoignait l’église Saint-Jean-Baptiste. Circulant sur la voirie, il avait l’allure d’un tramway. Il avait été concédé par la Ville de Paris à l’ingénieur Fournier.

Son succès fut immédiat, rendant l’exploitation difficile car la ligne était établie à voie unique avec 5 points de croisement. L’augmentation de capacité fut d’abord réalisée par la circulation des voitures en rafales, avant de retenir la solution du couplage.

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Repris en régie par la Ville en 1910, le funiculaire dut attendre la fin de la première guerre mondiale pour être rénové, pour une durée finalement très courte puisque la Ville décida la fin de l’exploitation le 18 juillet 1924, avec remplacement par autobus, exploité par la STCRP, et ne donnant guère satisfaction car les Schneider type H étaient d’un confort précaire, surtout après la suppression de nombreuses banquettes (en bois) pour augmenter leur capacité. Un avant-goût de ce qui allait se produire avec le démantèlement des tramways…

Dans le plan de développement adopté en 1925, figurait une nouvelle ligne de métro d’abord envisagée entre la place de la République et la porte des Lilas et finalement amorcée au Châtelet sur une longueur d’environ 5,5 km.

Les particularités de la ligne 11

Les travaux de cette nouvelle ligne débutèrent en 1931, composant avec des terrains très hétérogènes : des alluvions dans la nappe aquifère sur la partie basse de la ligne, et de la glaise sous la colline de Belleville.

Le tracé comprend une section de 2,5 km en rampe de 40 ‰ interrompue uniquement au droit des stations. La ligne devait aussi être établie à grande profondeur, passant sous toutes les lignes préexistantes de métro et sous la Petite Ceinture entre les stations Pyrénées et Jourdain, sans correspondance possible. La ligne s’écartait de la rue de Belleville pour faire un crochet par la place des Fêtes afin de desservir ce quartier et organiser la correspondance avec la branche Pré-Saint-Gervais de la ligne 7.

plan-ligne-11

La ligne 11 ne comprend qu’un seul raccordement au réseau existant, entre les stations Rambuteau et Arts-et-Métiers, avec la ligne 3.

Alors que les précédentes réalisations avaient été conçues avec des stations de 105 m de long (ligne 7 au sud du Palais Royal, ligne 8 et 9 après Opéra), les 12 stations de la nouvelle ligne 11 revenaient au format standard de 75 m, dont 11 suffisamment profondes pour être dotées d’emblées d’escaliers mécaniques.

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Station Porte des Lilas - 9 juin 2023 - Si la ligne 11 dessert l'une des plus belles stations du réseau, elle comprend aussi l'une des plus dégradées. Ici le quai en direction des Lilas, dans cette station comprenant, comme Télégraphe, un piedroit central compte tenu de la nature des terrains. © transportparis

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Paris - Porte des Lilas - 20 janvier 2024 - Etablie à grande profondeur, l'accès principal de cette station est intégré à un bâtiment réalisé en 1920 pour le prolongement de la ligne 3, avec ascenseur et escaliers mécaniques. Conçu par Charles Plumet, il utilise le béton armé, comprend une voûte en béton cintré et est orné de mosaïques sur les piliers et la sous-face de la marquise. © transportparis

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Les Lilas - Rue de Paris - 3 décembre 2023 - Au premier plan, l'accès historique à la station Mairie des Lilas et, en arrière-plan, l'édicule de style moderne du nouvel accès. © transportparis

Les deux terminus disposent de 3 voies à quai (une pour l’arrivée et 2 pour le départ). A Châtelet, les contraintes d’insertion de la nouvelle ligne ont conduit à dissocier le tiroir de retournement, au-delà des quais, et les positions de garage, situées dans un tunnel en cul-de-sac côté Hôtel de Ville.

La mise en service intervenait le 28 avril 1935, le service étant assuré avec 22 rames de 4 voitures dont 3 motrices à 2 moteurs et une remorque mixte (première et seconde classe).

Dès 1934, le Département de la Seine actait le prolongement de la ligne 11 vers le Fort de Noisy, opération qui fut limitée à la mairie des Lilas, avec une seule station supplémentaire et un tracé allongé de 788 m. Elle était ouverte le 17 février 1937. Devant être un terminus provisoire, elle ne comprend que 2 voies et 2 quais.

Les stations étaient conçues de façon classique, avec le plus souvent un seul accès aux quais orienté côté Châtelet, entrainant une charge déséquilibrée des trains, notamment dans les stations de correspondance (République et Belleville principalement).

Le laboratoire du métro moderne ?

Certes, la navette entre la porte des Lilas et Pré-Saint-Gervais l’a devancé mais l’exploitation de l’automotrice prototype MP51 demeura éphémère.

Sur la base des enseignements acquis sur cette courte exploitation, la RATP fit de la ligne 11 le laboratoire de la modernisation de l’exploitation du métro avec des rames sur pneumatiques. Il faut toutefois souligner que l’hypothèse de matériels classiques à adhérence totale (uniquement des motrices) ne fut pas prise en compte dans la comparaison. A l’époque, la ligne 11 avait été dotée de 15 rames de 5 voitures dont 3 motrices à 4 moteurs et 3 remorques courtes (12,45 m) de type ancien.

A partir de 1954, la ligne 11 ferma à partir de 23 heures tous les soirs afin de donner plus de temps aux travaux de conversion de la voie, de l’alimentation électrique et de la signalisation, mais aussi créer des installations de maintenance dans l’arrière-gare des Lilas puisque la ligne allait être dotée d’un matériel totalement différent du reste du réseau, le MP55.

La première des 17 rames de 4 voitures arriva le 1er octobre 1954. La « pneumatisation » fut inaugurée le 8 novembre 1956, les voyageurs pouvant emprunter les nouvelles rames à compter du 13. Après la ligne 13 et son MA52 articulé, les parisiens découvraient d’autres voitures modernes, à la livrée plus claire, plus silencieuse aussi. La RATP et les usines Renault vantaient les mérites du roulement sur pneumatiques, qui se révéla cependant générateur de secousses.

Néanmoins, dans le contexte de l’époque, c’était un grand progrès. Il faut rappeler la situation de plus en plus difficile des transports parisiens au sortir de la seconde guerre mondiale. La RATP, créée en 1948, se retrouvait d'emblée confrontée à une période inflationniste, sauf pour les tarifs, maintenus par l'Office Régional des Transports Parisiens à un niveau relativement faible. De ce fait, les moyens manquaient pour renouveler et moderniser le réseau. Pour le métro, les robustes voitures Sprague-Thomson avaient relativement bien encaissé le choc de la guerre et les surcharges, mais le réseau était sorti fatigué et surtout n'avait que très peu évolué dans ses apparences mais aussi dans son fonctionnement. L'octroi de moyens pour moderniser la ligne 11 avait été arraché laborieusement, et n'allait concerner d'abord que le matériel et une partie de l'infrastructure. Le choix du roulement sur pneumatiques releva d'un non-choix puisque sans effectuer de comparaison avec une solution classique à adhérence totale.

La modernisation continua avec l’exploitation à agent seul à partir de 1967 : la mise en place pour la première fois du pilotage automatique PA135 supprimait la fonction de chef de train. L’intervalle minimal sur la ligne restait relativement moyen : 2 min 05.

D’un matériel à l’autre

Le MP55 régna en maître sur la ligne 11 pendant plus de 40 ans, avec pour seule évolution le changement de livrée d’une partie des voitures, adoptant le bleu foncé et le blanc avec ceinture noire, comme sur les MP73 dont un exemplaire arriva pour compléter l’effectif, dans une version à 4 voitures évidemment.

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Station Châtelet - Avant 1967 - La modernisation de la ligne 11 se déroula en 2 temps avec d'abord l'introduction du matériel sur pneumatiques puis l'automatisation du pilotage : sur ce cliché datant d'avant 1967, la loge est occupée par le conducteur et le chef de train. Les MP55 furent les seuls trains du métro à porter un logo de la RATP dont la forme reprenait la géographie de Paris. (cliché X)

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Station Place des Fêtes - 30 septembre 2018 - Croisement entre un MP59 et le MP73 affecté à la ligne 11. La station a été rénovée en conservant sa rampe lumineuse colorée type Ouï dire. © transportparis

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Station Châtelet - 9 juin 2023 - La station comprend 3 voies dont 2 pour le départ. En lien avec l'arrivée des MP14, les quais ont été rénovés, adoptant un carrelage anthracite déjà employé sur la ligne 4 et sur le RER A, mais dont la solidité semble insuffisante. © transportparis

En 1999, le MP55 était mis à la retraite, remplacé par des MP59 libérés par l’arrivée des MP89 sur la ligne 1. Pas de grand changement pour les voyageurs, avec tout au plus des sièges individuels à la place de banquettes. Ces rames avaient été modernisées au début des années 1990, mais les évolutions demeuraient assez mineures.

En 2023, après 60 ans de carrière, les MP59 de la ligne 11 voyaient arriver les MP14 dans leur version à conduite classique et longs de 75 m, en prélude au prolongement vers la gare de Rosny Bois Perrier en correspondance avec le RER E.

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Station Châtelet - 9 juin 2023 - Croisement entre un MP14 tout neuf et un MP59 sexagénaire. Un contraste de générations considérable : les voyageurs gagnent en capacité et en confort. © transportparis

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Station Pyrénées - 9 juin 2023 - La puissance accrue des MP14 est évidemment appréciable sur une ligne à profil difficile comme la ligne 11. Avec leur arrivée, le bleu a fait son retour sur le matériel roulant, celui de l'autorité organisatrice, 24 ans après la réforme des MP55 qui revêtaient eux aussi des livrées à base de bleu. © transportparis

Cependant, les retards dans la livraison du nouveau matériel imposaient le maintien en activité de 6 rames MP59, faisant ainsi cohabiter le plus ancien et le plus récent matériel du réseau.

C’est un sacerdoce pour ce matériel devenu sexagénaire, mis à rude épreuve sur une ligne à la charge moyenne importante rapportée à sa courte longueur : 7,6 millions de voyageurs / km de ligne, contre par exemple 7,3 millions sur la ligne 9 (fréquentation 2018). C’est aussi le cas pour les voyageurs, transportés dans un matériel antédiluvien et au confort complètement dépassé et entretenu a minima. Qui plus est, le parcours est difficile et sollicite fortement la motorisation et le freinage : il n’y a guère qu’entre Rambuteau et Hôtel de Ville que les rames, quand elles sont en forme et le conducteur motivé, peuvent voir l’aiguille atteindre furtivement 70 km/h, ce qui est beaucoup plus facile pour un MP14 bien mieux motorisé.

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Station Arts-et-Métiers - 9 juin 2023 - C'est assurément l'une des stations les plus remarquables - et les plus réussies - du réseau parisien avec le revêtement en cuivre de sa voûte, dans une ambiance digne du Nautilus. © transportparis

Le prolongement à Rosny-sous-Bois

Avec 6,28 km parcourus en 16 minutes, soit une vitesse moyenne de 23,6 km/h, la ligne 11 est la plus courte du réseau si on met de côté les lignes 3bis et 7bis. Compte tenu des besoins de l’est parisien, la relance du projet de prolongement adopté aux origines de la ligne allait s’imposer, en l’adaptant aux évolutions de la géographie.

Dans le Contrat de Plan Etat-Région 2000-2006 étaient donc inscrit le financement des études relatives au prolongement des Lilas à la gare de Rosny Bois-Perrier pour assurer une correspondance avec le RER E. Deux tracés étaient examinés différant par leurs modalités d’accès au terminus, par le nord ou par le sud. Le premier fut retenu en 2011 après la concertation publique de l’automne 2010. L’enquête publique à l’automne 2013 confirma l’intérêt du projet de 5,5 km et 6 nouvelles stations, déclaré d’utilité publique le 28 mai 2014, et la décision de le réaliser en une seule phase, sans étape intermédiaire à l’hôpital de Montreuil.

Le tracé comprend une section aérienne en viaduc compte tenu de la différence d’altitude, entre les futures stations Coteaux Beauclair et Rosny Bois-Perrier.

La mise en service est prévue dans le courant du printemps 2024, après de nombreuses interceptions du service pour moderniser le système d’exploitation. Le système OCTYS avec équipement Alstom et maintien de la signalisation latérale a été émis en service en juin 2023 en mode provisoire (pilotage manuel contrôlé) en attendant le prolongement pour une exploitation en pilotage semi-automatique.

Le nouvel atelier de maintenance de Montreuil a été mis en service en juillet 2023, mettant fin aux difficiles conditions de travail dans l’exigu atelier souterrain des Lilas, et au transport par voie routière de certaines pièces des MP59 vers l’atelier directeur de Fontenay, remontées à la surface par un monte-charges.

L’exploitation avec des trains de 5 voitures occupant la totalité des 75 m des stations a imposé l’ajout de nouveaux accès dans certaines stations : Hôtel de Ville, Goncourt (sortie), Belleville (nouvel accès et nouvelle sortie), Pyrénées, Porte des Lilas et Mairie des Lilas. En outre, les stations Télégraphe, Porte des Lilas et Mairie des Lilas ont été dotés de nouveaux ascenseurs, mais seules ces deux dernières sont rendues accessibles.

 

Plus loin encore ?

Dans l’accord de 2013 relatif au Grand Paris Express, le tracé de la ligne 15 à l’est de la capitale adoptait l’itinéraire par Val de Fontenay entre Rosny et Champigny, parallèle au RER E. Par conséquent, l’autre itinéraire étudia, via Villemomble et Neuilly-Plaisance, aboutissant à Noisy – Champs, fut attribué à la ligne 11. Cependant, les études de faisabilité concluaient de façon négative à l’intérêt du projet. Cette perspective a été perdue de vue, au grand dam des communes concernées.

Automatiser la ligne 11 ?

L’option a été envisagée compte tenu d’un prolongement doublant quasiment la longueur d’une ligne dont il fallait aussi renouveler les équipements de signalisation et d’exploitation. Outre l’ajout d’une « complexité » de plus dans le pilotage du projet, ce scénario aurait nécessité l’installation – comme c’est la règle à Paris – de façades de quai, s’avérant incompatible avec le maintien en exploitation de MP59 (à 4 portes de 1,30 m par face) avec les MP14 (à 3 portes de 1,80 m par face).

En outre, le niveau de trafic attendu sur la ligne 11 ne rend pas strictement indispensable un système d’exploitation capable de débiter un train toutes les 80 ou 85 secondes.

Néanmoins, les cabines de conduite des 39 MP14 prévus pour l’exploitation Châtelet – Rosny pourraient, selon Alstom et la RATP, être escamotées dans la perspective d’une future automatisation. Pour autant, vu le délai annoncé pour une telle opération, il est probable que les conducteurs resteront durablement nécessaires à cette ligne.

Enfin, la « dépneumatisation » de la ligne avec l’extension, le renouvellement du matériel et le nouvel atelier, a été considérée plus onéreuse et posait le problème de la stratégie d’acquisition de la nouvelle génération de rames à roulement classique : l’arrivée de celles-ci a été décalée au fil du temps, dans un raisonnement à court terme faisant durer peut-être plus que de raison les MF67 au risque de maintenir un matériel obsolète et à la fiabilité déclinante jusqu’en 2030.

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