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transportparis - Le webmagazine des transports parisiens

Des autobus moins bien considérés... jusqu'à quand ?

2009 : le reflux commence

Obtenu non sans mal, le couloir à contresens de la rue Lafayette et d’une partie de la rue de Châteaudun, fut l’une des premières victimes d’une forme de reflux assez curieux à l’époque. Ouvert en 1999, il avait permis d’unifier les deux sens de circulation des lignes 26, 32 et 43, assurant sur ce tronçon la liaison entre les gares Saint-Lazare et du Nord (26 et 43) ou de l’Est (32), non directement reliée par le métro. Cet aménagement fut supprimé, la surface délaissée par les autobus fut consacrée à une piste cyclable dont le moins qu’on puisse dire est que le débit est loin d’être aussi important ! Les trois lignes retrouvèrent la rue de Maubeuge, avec un couloir matérialisé par une simple bande peinte. C’était un retour, incompréhensible alors, de 30 ans en arrière !

En revanche, le parcours put profiter d’un nouveau contresens sur la rue Saint-Lazare entre la place de la Trinité et la rue d’Amsterdam, remplaçant avantageusement le crochet par la place de Budapest et la rue d’Amsterdam. Dans ce même quartier, alors qu’était envisagé la poursuite de cet aménagement sur la rue de la Pépinière jusqu’à la place Saint-Augustin, la Ville fit volte-face et préféra réaliser une piste cyclable. Cet aménagement aurait profité aux lignes 22, 28, 43 et 80.

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Paris - Rue Saint-Lazare - 21 mai 2020 - Photo pas très représentative, en sortie de période de confinement : le couloir dans le sens de la circulation est étrangement vierge de tout camion de livraison et le contresens venant de la place de la Trinité est bien visible. © transportparis

En 2014, la Ville de Paris recensait 100 km de voies réservées (bande de peinture), 18 km de voie à contresens et 55 km de couloirs séparés par une bordure, soit 172 km.

Depuis 2019 : des facilités allégées

L’essor de l’usage du vélo a eu pour conséquence une augmentation du flux dans les couloirs, déjà ouverts aux véhicules d’intervention et aux taxis. Seuls les couloirs à contresens restent en principe interdits aux vélos. Résultat, le bénéfice pour le service public n’a cessé de diminuer. Alors même que la circulation automobile diminue dans Paris, la vitesse commerciale des autobus est elle aussi repartie à la baisse.

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Paris - Rue de Rennes - 8 avril 2011 - Quoique matérialisées par de simples bandes peintes, les voies réservées aux bus sur la rue de Rennes ont été supprimées. Cependant, il était nécessaire d’élargir les trottoirs compte tenu de la chalandise importante de cette artère, et il est vrai que ces couloirs étaient peu utilisables en raison d'un laxisme certain quant à la gestio.n des livraisons © transportparis

Les évolutions apportées au réseau d’autobus dans Paris en avril 2019 ont eu des effets contrastés : de nouveaux couloirs ont été réalisés sur certains axes (rue de Belleville par exemple), mais d’autres ont été supprimés (généralement pour réaliser des pistes cyclables dont le débit est bien plus faible qu’une ligne d’autobus bien exploitée) sans systématiquement être compensés. Et lorsqu’ils l’ont été, les autobus ont dû se contenter de bandes peintes et non plus physiquement séparées. C’est par exemple le cas des quais de rive gauche, du boulevard de Sébastopol, des rues Beaubourg et du Renard. La réduction de leur largeur ne facilite pas l’évolution des bus. 

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Paris - Rue de Belleville - 11 mai 2019 - La ligne 20 a été complètement reformatée : ne reste du parcours d'origine que la section Saint-Lazare - République. L'extension à l'est vers la porte des Lilas est une création nette sur le réseau, avec un couloir à contresens sur la rue de Belleville. © transportparis

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Paris - Boulevard de Sébastopol - 14 avril 2019 - Durant tant d'années, la RATP a demandé un couloir à contresens pour simplifier le tracé de la ligne 38. En vain. En revanche, la piste cyclable a été réalisée à une vitesse confondante ! © transportparis

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Paris - Rue Beaubourg - 17 juillet 2023 - A défaut de couloir à contresens sur le boulevard de Sébastopole, jusqu'au printemps 2023, les autobus disposaient sur la rue Beaubourg d'un couloir protégé par une bordure qui facilitait leur évolution vers la rue de Rivoli. Désormais, c'est une bande peinte. Les piétons n'ont pas gagné un centimètre de largeur de trottoir, et les utilisateurs des autobus doivent redoubler de prudence puisque l'arrêt est séparé du trottoir par la piste cyclable nord-sud. © transportparis

Quant à la suppression de couloirs en partie protégés le long de la Rive Gauche (à l’ouest du pont Saint-Michel notamment), au bénéfice d’un transport individuel, c’est un exemple rare d’incurie, qui ne se rencontre guère ailleurs en Europe… d’autant que les piétons n’ont pas gagné un centimètre de trottoirs. La Ville s’est contentée de redistribuer l’espace, au final en augmentant la part allouée aux modes individuels. C’est moins une critique de fond sur le développement du vélo qu’un constat factuel : la redistribution de l’espace se fait très marginalement en faveur des piétons et encore moins du service public de transports en commun.

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Paris - Quai des Grands-Augustins - 25 août 2019 - Avant, il y avait à cet emplacement un couloir protégé. Les autobus sont désormais relégués dans la circulation générale. Ici aussi, le piéton n'a rien gagné et l'arrêt d'autobus en îlot impose à ses utilisateurs de redoubler de vigilance, car rares sont les cyclistes à s'arrêter pour les laisser passer. Nombreux sont en revanche ceux qui vocifèrent à l'encontre de ces gêneurs ! © transportparis

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Ce graphique compile les données du Bilan des Déplacements de la Ville de Paris. L'édition 2021 est la plus récente à fin septembre 2023. On peut ainsi constater une régression de 10 % du kilométrage des couloirs pour autobus et une réduction de moitié des couloirs séparés par une bordure. Ces couloirs sont en outre ouverts à des modes individuels ce qui altère leur efficacité. Il faut quand même ajouter qu'une partie des couloirs bus disparus sont le fait du tramway (26,7 km) sur les boulevards des Maréchaux. Mais comment se fait-il qu'avec une circulation automobile en baisse de 52 % entre 1990 et 2022, la vitesse commerciale des autobus a baissé d'un tiers ?

Pour autant, si la statistique indique une hausse du nombre de couloirs, il faut tout de même nuancer le bilan. On prendra pour seul exemple la place de la Bastille, dotée dans sa nouvelle configuration d’une voie réservée dans le sens ouest – est… Mais le temps d’accès et de traversée de la place demeure très élevé sachant la désorganisation parfaite des plots, feux, voies qui se cisaillent les unes les autres, angles droits empêchant les autobus de tourner et, le comble, ayant créé des encombrements là où il y en avait peu, les autobus se trouvant à nouveau bloqués !

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Paris - Place de la Bastille - 2 février 2020 (en haut) et 7 mars 2022 (en bas) - La circulation a été concentrée sur la partie nord de la place. L'aménagement n'est guère commode pour les cyclistes puisqu'il leur faut le plus souvent traverser le flux de circulation. Les autobus peinent à franchir cette place qui ne posait jadis guère de difficultés. Il aurait été souhaitable de dissocier les flux et d'aménager un site propre pour les autobus sur le flanc sur de la place, ce qui n'aurait que marginalement réduit l'espace gagné pour les piétons. Les fabricants de feux tricolores ont ici fait fortune... © transportparis

On peut aussi souligner que certains couloirs sont très théoriques car soit de largeur insuffisante (rue de la Convention sur la ligne 62) soit ne correspondant que partiellement à l’insertion du véhicule : on prendra pour seul exemple celui réalisé en 2019 sur le pont de Bercy, emprunté par les lignes 71 et 215. La première tourne à gauche pour passer sous le métro, ce qui impose logiquement d’emprunter la voie de gauche de circulation. La voie réservée lui est donc inutile.

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Paris - Rue d'Alésia - 25 septembre 2020 - Une partie de l'itinéraire de la ligne 62 a été mis en sens unique avec couloir à contresens de part et d'autre de l'avenue Leclerc : la circulation a été effectivement réduite et le service s'en trouve amélioré. © transportparis

Priorité aux carrefours : un vœu pieu ?

Ce serait un moyen a priori efficace pour améliorer la vitesse commerciale des autobus. Cependant, la densité de la ville rend l’exercice difficile, ne serait-ce que par les choix à opérer entre les itinéraires. En revanche, la réduction du nombre de carrefours avec feux tricolores serait peut-être à envisager, dans le cadre d’une ville moins occupée par les voitures particulières. Une première expérimentation avait eu lieu en 1983 sur la ligne 26 puis en 1987 sur la ligne 62, mais aucune généralisation n’a été décidée.

En outre, avant de donner la priorité aux autobus aux feux, peut-être faudrait-il s’interroger sur leur nombre, en hausse constante depuis 1995. La Ville de Paris dénombre 14 000 signaux en 2023, contre 9250 en 1995 (soit une augmentation de 51 %).

Cette redistribution de l’espace, qui ne profite donc ni aux piétons ni aux autobus, peut d’ailleurs avoir pour effet de recréer des encombrements : les cyclistes se plaignent d’aménagements trop étroits ou de véritables bouchons, sans compter les conflits entre utilisateurs (par exemple entre ceux qui respectent les feux tricolores et ceux qui s’en affranchissent). Certains aménagements peuvent être d’ailleurs très critiquées. Les pistes cyclables sont ainsi situées autour de la place de Clichy alors qu’elles sont en position centrale sur les boulevards des Batignolles et de Clichy. Pas pratique, donc les cyclistes vont au plus court, au milieu des voitures… et des autobus bien à la peine : ilôts mal placés, feux de sortie de carrefours…

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Paris - Place de Clichy - 7 juin 2023 - Carrefour encombré et des trajectoires naturelles qui n'ont pas été prises en compte dans la conception de certains îlots. Résultat, le conducteur n'a eu d'autre choix que de faire monter la roue arrière sur le trottoir (le mainteneur du dépôt appréciera, le voyageur aussi pour l'inconfort) car sa géométrie ne permet pas le passage de 2 véhicules de front, dont un autobus. © Th. Assa

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Paris - Place de Clichy - 9 juin 2023 - Particularité parisienne : des feux tricolores en plein milieu d'une place, de sorte à créer des encombrements là où il faut fluidifier. L'aménagement n'est guère satisfaisant pour les cyclistes : sur le boulevard de Clichy, peu nombreux sont ceux qui empruntent la piste cyclable par l'extérieur du carrefour (ce qui est logique !). Même chose pour ceux venant de l'avenue de Clichy. © transportparis

La circulation de la ligne 46 est désormais dissociée suite à la mise en sens unique de la rue de Reuilly entre le faubourg Saint-Antoine et le boulevard Diderot pour élargir un trottoir aux abords de l’école et réaliser un contresens cyclable, astreignant les bus à un détour par la rue Chaligny et le boulevard Diderot.

La situation actuelle des autobus à Paris mais aussi nombre de communes de banlieue n’est pas bonne : complexification du réseau ; réduction des priorités difficilement acquises en plus d’un demi-siècle ; baisse de la vitesse commerciale ; fréquences erratiques car difficiles à respecter ; difficulté conséquente à maintenir le trafic voyageurs. C’est une spirale vicieuse connue tendant à envoyer les usagers vers… le transport individuel !

Prenons par exemple les statistiques de la période 2017-2022, 13 lignes d’autobus parisiens transportent régulièrement au moins 25 000 voyageurs par jour : 26, 27, 31, 38, 54, 60, 62, 64, 80, 91, 95 et 96. Même si 9 d’entre elles sont exploitées par autobus articulés (54, 60, 64 et 96 en étant encore dépourvus), l’amélioration du service (confort, ponctualité, vitesse commerciale) devra passer a minima par des choix drastiques d’aménagement de la voirie en faveur du service public de transports en commun… voire le retour d’un grand absent : le tramway. C’est la seule façon - la seule ! - pour offrir une alternative efficace à l’usage de l’automobile en ville et de véritablement redistribuer de façon équitable l’espace public. Mais il faudra à nouveau expliquer à des décideurs qui n’en ont cure que le service public ne peut se comprendre qu’en dehors de toute considération individualiste. Ce n’est pas gagné !

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