60 ans (ou presque) de couloirs pour les autobus à Paris
La circulation automobile a diminué d'un peu plus de 50 % entre 1990 et 2022. La vitesse commerciale des autobus dans Paris a chuté de 30 % depuis la fin des années 2000. Comment expliquer ce paradoxal effet de ciseau ?
Alors que le premier couloir réservé aux autobus fêtera ses 60 ans en avril prochain, transportparis devance un peu cet anniversaire pour se pencher sur une question devenue épidermique, puisqu'il devient de plus en plus difficile de développer une analyse sur le rôle des transports en commun de surface et la nécessité de les améliorer sans être taxé d'opposant au développement du vélo.
Cependant, on ne peut que constater que les réaménagements de voirie opérés ces dernières années ont surtout redistribué la largeur de la rue entre la circulation générale (voitures particulières, livraisons, véhicules d'intervention...) et la création de pistes cyclables et que les facilités de circulation des transports en commun passent au second plan. Ne parlons pas des piétons car le plus souvent, ces aménagements n'élargissent pas les trottoirs.
Paris - Avenue du Général Leclerc - 23 septembre 2023 - Les bordures de trottoir ne pouvaient pas bouger sauf à menacer les arbres bordant cette artère. Les cyclistes disposent d'une piste dédiée et physiquement séparée dans le sens nord-sud. Ils cohabitent avec les autobus dans le sens inverse. Quant aux lignes 38 et 68, elles disposent de couloirs séparés par une simple bande. © transportparis
D'après les statistiques de la Ville de Paris, la longueur cumulée des voies réservées aux autobus (mais aussi aux taxis, aux véhicules d'intervention, aux vélos, et même parfois aux livraisons entre 9h30 et 16h30) a bien baissé entre 2005 et 2021, passant de 196 à 181 km. Certes, dans ce recul, il faut prendre en compte les 26,7 km de T3, qui a pour bonne partie remplacé des couloirs bus : si on ajoute le tramway, on arrive donc à 207,7 km d'aménagements pour les transports en commun de surface contre 196 km au cours de la dernière année sans T3. Soit un bilan net de 11,7 km.
Au-delà de la dimension statistique, il faut aborder la dimension qualitative : la part de couloirs protégés par une bordure a été réduite de moitié entre 2005 et 2021. Les voies à contresens ont en revanche progressé à la faveur de quelques opérations lors de la restructuration du réseau en avril 2019 et de refontes locales du plan de circulation (comme la rue d'Alésia).
Paris - Rue Ordener - 5 août 2017 - Il faut vraiment des autobus à gabarit très réduit pour pouvoir utiliser ce couloir, confirmant qu'on ne peut se limiter à une seule lecture statistique des aménagements pour les transports en commun... © transportparis
Néanmoins, le bilan est sans appel : la vitesse commerciale des autobus chute, ce qui impose soit de détendre les intervalles à moyens de production constants, soit d'injecter des autobus et des conducteurs en plus pour maintenir la cadence (et la capacité).
Alors qu'Ile-de-France Mobilités cherche des ressources d'exploitation, on serait tenté de lui conseiller d'éviter d'abord d'en perdre : augmenter la vitesse commerciale, c'est le moyen élémentaire de se donner des marges d'évolution, y compris pour accroître le service dans les secteurs où il faut défaut, en particulier les arrondissements périphériques.
Mais l'autorité organisatrice n'a pas la compétence sur la voirie, même si la Ville de Paris, qui l'a, en est membre, et à une part substantielle (32 %). C'est assurément un des points les plus critiques de la gouvernance des transports franciliens, mais une réforme efficace ressemble à une gageure.
Remontons donc le temps, aux origines des premiers aménagements pour les autobus : les similitudes historiques sont intéressantes. Elles avaient été en partie révélées par les travaux d'Arnaud Passalacqua en 2008. C'est l'objet de ce nouveau dossier.