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transportparis - Le webmagazine des transports parisiens

Tramways parisiens : le démantèlement

Durant les années 1920, le développement de l’automobile, symbole du progrès et de la modernité, s’accompagna d’une dégradation de l’image des transports en commun en général et en particulier du tramway. Les pouvoirs publics semblèrent pris de court et n’engagèrent aucune décision pour organiser la circulation. Au contraire, dès 1921, la Préfecture de la Seine étudia les possibilités de dégager les quartiers centraux et envisagea la suppression des tramways dans les artères étroites. Enfin, les progrès accomplis par l'autobus laissaient penser que ce dernier pouvait remplacer le tramway sur des axes secondaires.

On reprocha aussi l'irrégularité grandissante du service en feignant de ne pas comprendre qu'elle était en grande partie la conséquence de la passivité des autorités face à ce qui devenait dans certains quartiers une vaste pagaille...

PHOTO-motrice-L-1927

Paris - Place de la République - 1927 - Motrice L au terminus de la ligne 6 République - Bry sur Marne. On notera que la girouette arrière indique étrangement la destination Louvre. Les tramways furent aussi pénalisés par un règlement limitant leur vitesse à 25 km/h dans Paris et à 30 km/h en banlieue, alors que les autobus pouvaient filer à 45 km/h. (cliché X)

Les premières suppressions

La ligne 78 Saint-Denis - Villeneuve-la-Garenne fut la première supprimée. Depuis trois ans, la STCRP exploitait déjà par autobus plusieurs petites lignes de rocade entre certaines communes de banlieue. Ce mode de desserte fut alors étendu à quelques courtes lignes de tramways peu. Les conversions à l’autobus concernèrent ensuite les lignes 111 Saint-Maur – Créteil (en 1926), 59 Marly-le-Roi - Port-Marly (1927), 60 Saint-Germain – Chatou (1928), 74 Pantin - Quatre Chemins (1929). Un essai de remplacement des tramways par des autobus dans Paris fut tenté sur les lignes 12 et 15 (desservant le quartier de Passy) les dimanches d'avril à septembre 1926. Mais la substitution aux motrices L d'autobus Schneider lents et trépidants restait – du moins provisoirement – sans suite.

Les premières suppressions à l'intérieur de Paris commencèrent en avril 1926. Le tramway abandonna d’abord les quais Rive Gauche entre la Concorde et la gare d'Austerlitz. Les lignes furent reportées boulevard Saint-Germain (lignes 103, 105). Ce même mois, le tramway disparut des rues Réaumur et de Turbigo avec report à place de la République d'une partie des terminus de l'Opéra et des Halles (lignes 95, 97 et 100). Les deux lignes 96 et 99, vestiges de la concurrence entre la CGO et l'Est-Parisien, furent intégralement supprimées. En 1928, la ligne 55, empruntant l’étroite rue de Rochechouart, fut aussi assurée par autobus. L’année suivante, la ligne 49 subit le même sort, quoique mal tracée dans la rue d'Aubervilliers. Les deux dépôts de Saint-Mandé et Montreuil furent par ailleurs fermés à l'exploitation tramways dès 1926 et affectés au garage du matériel tramway réformé.

Face à l'automobile, le tramway apparut donc comme l'obstacle à éliminer selon un discours entretenu par une presse ignare et partisane. Le lobby de l’industrie automobile battait alors son plein.

CP-tram-chatelet

Paris - Pont au Change - Vers 1925 - Cette carte postale a probablement dû faire en son temps le bonheur des partisans de la suppression des tramways puisque les trois tramways présents se gênent mutuellement... à cause de véhicules automobiles et d'une charette à cheval bloquant le convoi cherchant à quitter le pont au Change...

En 1927, la Direction Générale des Transports à la Préfecture de la Seine présenta un projet de réorganisation des transports parisiens visant à coordonner les différents réseaux existants (chemins de fer, métropolitain, tramways, autobus), et améliorer les bilans financiers en évitant les doubles emplois. Elle demandait la suppression des tramways à l’intérieur du périmètre formé par les lignes 2 et 6 du métro. La Ville de Paris allait plus loin : elle décidait la suppression totale du réseau sur son territoire, malgré l’avis de la STCRP favorable aux tramways.

Le remplacement des tramways par des autobus

Hésitante, la STCRP fut pressée de mettre à exécution le démantèlement du réseau par la Préfecture et la Ville, avec la commande de plusieurs milliers d’autobus aux usines Renault (ardent partisan de l’opération) et Panhard mais aussi la transformation des dépôts. Commençait également une série de mutations de matériel entre lignes, de sorte à retirer en priorité le parc ancien et aboutir à une exploitation avec les seules motrices G et L. De semaine en semaine, le tramway perdait du terrain.

CP-tram-etoile3

Paris - Place de l'Etoile - Vers 1921 - Un des cas de mauvais tracés des lignes de tramway. Sur la place de l'Etoile, les deux sens de circulation étaient ramenés sur le flanc est (côté Champs Elysées) pour ne pas avoir à couper l'avenue Foch. Cette disposition fut un argument pour supprimer les tramways devant remonter à contresens une circulation alors croissante : la Préfecture refusa systématiquement d'octroyer les crédits qui auraient permis de mettre les tramways dans le sens de la circulation au prétexte qu'il fallait préparer leur suppression !

Image

Extrait du journal Le Gaulois du 27 novembre 1927 à propos du plan de voies de la place de l'Etoile. Tout est dit...

La première vague de suppressions touchait les quartiers du 16ème arrondissement et de Neuilly dont une partie des habitants aisés se tournent facilement vers l'automobile. En 1930 disparaissaient les premiers itinéraires à trafic important, quoique générant une forte recette grâce à une forte utilisation de la 1ère classe :

  • en mars le 15 La Muette - Rue Taitbout ;
  • en avril le 16 Auteuil - Madeleine ;
  • en mai le 37 Neuilly - Madeleine et le 41, Courbevoie – Madeleine, faisant ainsi disparaître le tramway du boulevard Haussmann ;
  • en décembre, la suppression du 12, Auteuil - Hôtel de Ville, acheva le dégagement de l’avenue Mozart.

1930 vit aussi la conversion des dépôts de Mozart, Croix-Nivert et Puteaux à l’autobus.

Sur le moment, le remplacement des rames réversibles de 110 places par des petits autobus Renault PN de 39 places fit planer un doute sur l'opportunité de l'opération. Mais la sortie des autobus TN4A de 50 places, en 1931, dissipa officiellement toutes les inquiétudes.

L'année 1931 était orientée vers la suppression des tramways autour des Halles, avec la disparition des lignes 84, 22, 87 et enfin 6A. Par ailleurs, la transformation des lignes 24 et 35 dégageait respectivement le boulevard Beaumarchais et l'avenue de Villiers. Le dépôt du Hainaut était équipé pour les autobus.

PHOTO-tram-republique-1927

Paris - Place de la République - 1927 - Important terminus de 6 lignes (6, 24, 50, 51, 53 et 118), les tramways circulaient place de la République autour du vaste terre-plein. Un service partiel pour le carrefour d'Alfort est au départ. (cliché X)

En 1932, la STCRP poursuivit la suppression des lignes intra-muros et s'attaque aux lignes de pénétrations. Ces lignes furent alors scindées en deux parties : l'une en banlieue, exploitée par tramways, l'autre dans Paris, reprise par autobus. En janvier, les lignes de Vitry et de Choisy, 82 et 83, furent coupées à la place d'Italie et la section Place d'Italie - Châtelet fut exploitée sous l'indice 82/83 par autobus. En mai, une opération semblable fut réalisée au départ de la Madeleine pour les lignes de Gennevilliers et Argenteuil, 39 et 40, coupées à la porte de Clichy : la section urbaine jusqu'à la Madeleine fut reprise par un autobus 39/40. Ces transbordements forcés du tramway à l'autobus furent néanmoins violemment critiqués par la presse qui demande la desserte de ces lignes de bout en bout par autobus.

Trois lignes purement urbaines à très gros trafic disparaissaient en cette année 1932 : d’abord le 92 Montparnasse – Péreire en février, puis le 26 Saint Augustin – Cours de Vincennes et le 28 Gare du Nord – Porte d’Orléans via Saint Lazare. L’autobus Renault TN6, le premier avec un moteur à 6 cylindres développant 67 chevaux, était mis en service pour suppléer aux tramways. Le dépôt de Lagny perdait ses tramways.

Il avait été admis qu'une fois la Capitale dégagée, le réseau de banlieue se stabiliserait. Mais en 1932 le Conseil Général de la Seine décida de poursuivre systématiquement le remplacement des tramways par des autobus, toujours avec le même prétexte de dégager la circulation.

Pourtant, une bonne partie de ces lignes étaient établies en accotement, donc hors de toute circulation routière. Cette ineptie eut évidemment pour conséquence de mettre les autobus dans les encombrements…

Le premier gros itinéraire supprimé en banlieue, la liaison Saint-Denis - Porte de la Chapelle (lignes 9, 48, 53) fut abandonnée en décembre 1932 : sur les trottoirs démesurément larges de cette grande artère, les motrices L se souciaient fort peu des embarras de circulation alors bien anodins dans cette zone. Ils circulaient librement. Quinze ans plus tard, les autobus étaient noyés dans les bouchons...

Le rythme des suppressions s'accéléra en 1933 en maintenant le principe de scission de l’exploitation entre Paris et la banlieue dans un premier temps, afin de « purger » le plus rapidement la capitale du tramway par secteur géographique en fonction des dépôts. Parmi les lieux symboliques, la place de l’Etoile était « débarrassée » en mars avec la disparition du 43 Montparnasse – Courbevoie, la place de l’Opéra à l’automne avec la conversion du 21 ou encore l’importante ligne de Choisy le Roi (83). Cette année-là, pas moins de 17 lignes et 5 dépôts furent touchés. Enfin, l’Atelier de Grands Levages (AGL) des Lilas stoppait toute activité.

L'année 1934 vit d'abord la suppression de quelques rocades ou rabattements de banlieue (66, 90, 94, 73). Puis plusieurs grosses lignes de banlieue tombèrent à leur tour, dont celles de Châtillon et d'Aubervilliers. En mai, furent supprimées les lignes traversant le Bois de Vincennes malgré leur remarquable tracé en double voie sur une plateforme indépendante (qui survivra cinquante ans après la disparition des tramways). Durant l'été, furent supprimées les lignes des quais Rive Droite et la ligne de Versailles. L'année s'achevait avec la suppression des lignes de Fontenay-sous-Bois, certaines lignes de Courbevoie et la dernière ligne de Pavillons-sous-Bois.

Dans le courant de cette année 1934, les dépôts de Sèvres, Charlebourg et Saint-Maur furent supprimés : les deux derniers étant convertis en dépôts d'autobus et le dépôt de Sèvres dédié au matériel désaffecté. L'AGL de Bezons ferma le 31 janvier et l'AGL de Championnet suivit le 1er mars. Il ne restait alors plus qu'un Atelier des Grands Levages, à Ivry avec une activité réduite au minimum compte tenu de l’abondance de matériel en bon état.

Au 1er janvier 1935, il ne subsistait plus que 50 lignes de tramways, dont quelques anciennes lignes de pénétration limitées à la section extra-muros. Le parc de matériel, débarrassé des voitures anciennes et des petites séries, comprend encore 1129 motrices et 475 attelages.

Au cours de cette année, le massacre du réseau se poursuivit rapidement, au rythme de deux ou trois lignes par mois : Saint-Germain, Rosny et Villemomble, Créteil, Vitry, Maisons-Alfort, Maisons-Laffitte, les rocades est, la ligne Enghien – Montmorency succombaient à un lobbying acharné qui touchait aussi des pénétrantes. Avec le 54, Enghien - Trinité, le tramway quittait sa dernière grande percée dans le quartier Saint-Lazare ; avec le 89, Clamart -Hôtel de Ville, il abandonnait la rue Lecourbe et les abords de l'Hôtel de Ville. Enfin, dans Paris même, les suppressions touchèrent les lignes du boulevard Saint-Germain, la ligne 91 Montparnasse - Bastille malgré son trafic important et enfin les lignes d’Auteuil et Saint-Cloud vers Saint-Sulpice. Quatre dépôts parmi les plus importants furent abandonnés : Gonesse, Lilas, Alfort, Point du Jour, ainsi que la remise de Rueil. Les dernières motrices B et G de la CGO, les dernières E' de l'Est-Parisien et les 150 Nogentaises quittèrent cette année la scène parisienne.

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Paris - Gare de l'Est - 1936 - La menace se précise : qui aurait pu croire que la ligne 8, avec ses 21 millions de voyageurs annuels, aurait pu être assurée non plus par des tramways de 120 places mais par des autobus de 40 ? A gauche, un TN4B de la ligne 30, succédant à l'ancien tramway Nation - Etoile via la place de Clichy. (cliché X)

L'année 1936 précipita les événements avec la suppression des lignes de Boulogne, des sections de banlieue des lignes de Gennevilliers, Argenteuil, Pierrefitte, Drancy, Le Bourget, des lignes de Courbevoie et Colombes. Mais trois suppressions retiennent davantage l'attention. En août disparaissait la grande ligne nord-sud, le 8, Montrouge - Gare de l'Est qui 10 ans plus tôt transportait encore plus de 26 millions de voyageurs par an. En décembre, tombait le célèbre Paris-Arpajon et les lignes du Bois de Boulogne (38 et 44) malgré leur tracé en plateforme indépendante le long du Bois. Un nouvel autobus type TN4H, comportant davantage de places assises que les précédents, était mis en service sur le 91, puis sur le 8, amorçant une production de 1190 véhicules destinés également à la réforme des autobus anciens (notamment le type H).

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Paris - Gare de l'Est - Vers 1930 - Quatre ensembles L+A sur le boulevard de Strasbourg. A gauche, une rame de la ligne 9 Saint Denis (caserne) - Jardin des Plantes rejoint deux convois de la ligne 8 Montrouge - Gare de l'Est, tandis qu'un quatrième en arrière-plan arrive au terminus. On aperçoit aussi à gauche un autobus, probablement un TN4B ou TN4C. Bientôt, les autobus de 40 places prendront la relève de tramways en proposant trois fois plus...

A la fin de 1936, il ne restait donc plus que 8 lignes réparties dans 4 dépôts. L'année 1937 marqua la fin du tramway dans Paris. En janvier, disparaissaient les lignes de la banlieue sud vers Bagneux et Antony et en février les lignes de La Maltournée. Une dernière ligne subsistait dans Paris, le 123/124, Porte de Saint-Cloud - Porte de Vincennes. Grande rocade est-ouest empruntant les rues de la Convention, d'Alésia, de Vouillé et de Tolbiac, elle connaissait un important trafic. Elle résista jusqu’au 15 mars 1937. Dans la nuit, l'ultime motrice L et son attelage A regagna le dépôt de Malakoff. La Préfecture et la Ville de Paris avaient eu « la peau des tramways » en appliquant une substitution méthodique, portée par une campagne intense de désinformation, soutenue par l’industrie automobile et pétrolière. Pour l’Exposition Universelle de 1937, Paris affichait alors l’image d’une ville « moderne » dévolue à l’automobile.

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Paris - Rue de Patay - 16 mars 1937 - Au lendemain de la suppression des tramways, la STCRP engageait des autobus Renault TN4F sur l'itinéraire. Les voies et le fil aérien sont encore évidemment présent. Sur sa calandre, l'autobus précise qu'il remplace le tramway 123/124. C'était ça le progrès ? (cliché X)

Cependant, en banlieue, la ligne 112 Le Raincy – Montfermeil, subsistait encore. Elle n’eut que 18 mois de sursis. L’autobus prit la relève le 14 août 1938.

Comme l'avait prescrit le Conseil Municipal, Paris a été débarrassé - pour reprendre le terme de l'époque - de ses tramways pour l'Exposition universelle de 1937. Il reste encore, dans une banlieue éloignée, une ligne unique de tramways, la ligne 112, Le Raincy - Montfermeil, qui disparaîtra le 14 août 1938 alors que l’odeur de poudre – et ses inévitables restrictions – commençait à planer sur l’Europe…

La liquidation du matériel

Au fur et à mesure de la substitution des autobus aux tramways, les dépôts avaient été transformés. Certains d'entre eux, toutefois, ne furent pas prévus dans le programme de transformation et servirent de remise au matériel réformé. Parmi ceux-ci, le dépôt de Montrouge - Arpajonnais servit de terrain de démolition à bon nombre de voitures, et le dépôt de Malakoff abrita les dernières rames réformées du 8 et du 123/124.

Quelques voitures de Paris, en très petit nombre, furent vendues en province à Rouen, Toulouse, Hagondange et Marseille. Certaines de ces voitures circulèrent jusqu’en 1960. Des dizaines d’équipements électriques furent également revendus à certains réseaux.

Tout le reste du matériel roulant fut démoli, aussitôt après la suppression du réseau, même le matériel le plus récent, encore en excellent état. Les voies qui venaient d'être reconstruites à grand frais, le caniveau qui avait englouti des sommes énormes et qui n'avait même pas encore été mis en service sur certaines artères (boulevard Magenta), tout fut vendu au prix de la ferraille !

Après la suppression

On reste confondu devant la désinvolture et l'inconscience qui ont présidé à la démolition systématique en quelques années d'un réseau d'une telle importance (le plus important du monde), édifié et modernisé au prix de soixante ans d'études et de travail. Ce réseau, conçu et réalisé année après année par les anciennes compagnies, apportait une desserte rationnelle à la population parisienne, il venait d'être presque entièrement remis à neuf par la STCRP lorsqu'une décision insensée le sacrifia à une minorité qui ne l'utilisait pas. Le résultat de cette politique ne se fit pas attendre. La suppression des tramways amplifia non seulement le trafic automobile mais aussi celui du Métro : ceux qui continuaient à emprunter les transports en commun se reportaient massivement en sous-sol pour éviter l’usage d’autobus englués dans la circulation, peu capacitaires, inconfortables et bruyants.

Aujourd’hui, si le Métro est victime de saturation, c’est aussi en partie parce que le réseau de surface n’est pas assez performant et pas assez capacitaire, démontrant les conséquences dans la durée du massacre des tramways parisiens. La modernisation du réseau aurait procuré un meilleur équilibre entre les lignes de surface et souterraines, les premières assurant dans Paris une fonction de cabotage et laissant aux secondes les grandes liaisons.

Un an après la suppression du dernier tramway, la seconde guerre mondiale entraînait la mise à l’arrêt du réseau routier, faute de personnel d’abord puis de carburant...

Après les hostilités, le retour anarchique de l'automobile viendra entraver chaque jour davantage l'exploitation des autobus noyés dans la circulation privée. Au même moment, des matériels modernes de tramways apparaissaient dans les grandes villes étrangères où ils circulaient en site propre. Plus tard étaient généralisés les tramways articulés qui seuls pouvaient faire face à la demande de transport grâce à leur capacité. Malheureusement, à Paris, le tramway n'a pas pu évoluer comme il aurait dû le faire : on préféra sa suppression plutôt que sa modernisation.

La STCRP avait pourtant engagé un vaste programme de modernisation et de reconstruction des voies. Certaines voies mal tracées avaient été reposées dans l’axe des chaussées. Des aiguillages électriques avaient équipés les points névralgiques du réseau. La plupart des grandes radiales de banlieue circulaient en accotement, ancêtre des sites propres actuels. Des études techniques très poussées avaient été engagées sur le matériel roulant afin de définir de nouvelles séries de matériels roulants appelés à remplacer l’ancien matériel, selon des conceptions voisines des « 5000 » bruxelloises conçues simultanément. Les services d’études du matériels de la STCRP étudiaient de très près des évolutions sur le confort de roulement, la récupération de l’énergie par le freinage. En y regardant de plus près, on s’aperçoit que la STCRP s’engageait dans la voie du tramway moderne

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Si la STCRP avait pu poursuivre son projet de tramway moderne, elle aurait alors probablement engagé la construction de nouvelles motrices à bogies dont les caractéristiques étaient assez similaires aux 5000 bruxelloises mises en service à partir de 1935 et qui circulèrent jusqu'en 1976 : deux doubles portes par face (entrée par l'arrière, sortie par l'avant), recherche d'abaissement du plancher (un seul emmarchement) et larges couloirs. La STCRP travaillait même sur la roue élastique qui fera la réputation de douceur au roulement des motrices américaines PCC qui n'arriveront en Europe qu'après-guerre ! © transportparis

Il restait néanmoins des points noirs. Certaines lignes n’avaient pas bénéficié d’amélioration et circulaient sur des tracés remontant au début du siècle. Place de l’Etoile, le tramway tournait encore à gauche, à contre-courant des voitures, afin de ne pas couper la perspective de l'avenue Foch... Ce n’était pourtant pas rédhibitoire et pouvait être réglé facilement par le bouclage complet autour de la place (ou le report des voies rues de Tilsitt et de Presbourg). Le maintien du caniveau était incompatible avec une exploitation rapide : le passage du trolley au caniveau qui nécessitait la descente de la charrue à l'arrêt avec courant coupé, freins serrés, cales aux roues, etc., causait une perte de temps. Néanmoins, la STCRP avait réussi à maintenir le fil aérien posé à titre provisoire sur certains tronçons de lignes.

La suppression des tramways parisiens a été accomplie alors que les progrès de l'automobile semblaient devoir détrôner le rail en France. L’état d’esprit était tel qu’il était devenu inutile de défendre un moyen de transport considéré, à tort, comme dépassé et donc condamné à disparaître au profit de l'autobus. Si nombre de villes américaines virent leurs réseaux contractés voire supprimés, surtout après 1945, le pays de l'automobile-reine reste quand même été à l'origine d'un type de tramway révolutionnaire qu'on aurait rêvé de voir circuler sur le réseau parisien : la PCC !

Sur le plan industriel, le démantèlement des tramways parisiens eut un effet d'entraînement : les autres villes françaises suivirent le mouvement, plus ou moins rapidement, avec une interception durant la deuxième guerre mondiale. Il en a finalement résulté une perte de savoir-faire industriel, torpillant toute tentative de modernisation des réseaux qui espéraient survivre dans cette déferlante automobile et individualiste. Il y eut bien quelques miracles, préservant 3 réseaux en France...

Pourtant 40 ans après la suppression des tramways parisiens, une recherche sur les causes profondes de cette suppression montre que la STCRP présentait « d'étonnantes imbrications financières » avec diverses entreprises proches des intérêts pétroliers et automobiles, particulièrement intéressées par le remplacement des tramways par des autobus. Le rapport concluait : « On ne peut s'empêcher d'établir des liens assez troublants entre la forte représentation des industries pétrolières et automobiles et la brusque disparition des tramways au profit des autobus... A plus d'un titre en effet, la suppression des tramways de banlieue est injustifiée et procède sans aucun doute de considérations totalement étrangères à l'intérêt public ».

En fait, la situation financière des transports parisiens, qu'on annonçait améliorée par la suppression des tramways, se soldait finalement en 1938 par un déficit atteignant 1,4 million de francs. Le bénéfice était pour d’autres…

Vers chapitre 8

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