30 janvier 2023

Financement des transports franciliens : le sujet de 2023 ?

Une conférence organisée à la Région, un débat télévisé sur France 3 Ile-de-France : la semaine a été dominée par l'interrogation sur le financement des transports en commun franciliens, quasiment un mois après l'augmentation sévère des tarifs devant l'impasse budgétaire actuelle, et la perspective, qui se rapproche malgré les décalages successifs du calendrier de mise en service des grands projets, notamment le Grand Paris Express. C'est assurément le sujet majeur de la gouvernance des transports franciliens.

Du côté des recettes

Actuellement, le coût annuel d'exploitation de l'ensemble des services de transports en commun franciliens est de 10,8 MM€. Les  recettes d'Ile-de-Frances Mobilités proviennent d'abord du Versement Mobilités, puis des usagers et enfin des collectivités locales.

Cependant, à très court terme, le besoin de financement va augmenter de près de 40 % pour atteindre 14,1 MM€ en 2026. Lors du dernier accord Etat - Région sur le Grand Paris Express, le gouvernement a pris des engagements pour définir de nouvelles modalités de financement afin de couvrir les charges imputables à l'autorité organisatrice. Il ne s'est rien passé. Pire, avec la crise sanitaire, l'Etat a consenti un prêt, dont le remboursement a débuté, pour couvrir le manque à gagner, puisque malgré l'effondrement de la fréquentation, les charges sont restées élevées (il fallait toujours payer le personnel et entretenir le matériel et les infrastructures).

Dans ce contexte, il n'y a d'autres solutions qu'une remise à plat du financement des transports franciliens. C'est une étape nécessaire, mais pas suffisante.

On commencera par rappeler une fois de plus que la décision ô combien politique du Navigo à tarif unique a fortement réduit les recettes, d'environ 500 M€ par an. Plusieurs pistes ont été évoquées pour augmenter les recettes : une taxation sur les plus-values immobilières autour des gares du Grand Paris Express, sur la publicité en faveur de certains véhicules (les SUV par exemple), sur les livraisons de commandes par Internet et naturellement sur l'usage de la voiture. Au cours de la conférence, il semble qu'une taxe sur le commerce en ligne a rencontré un certain succès, mais le lien est plutôt indirect entre ces modalités d'achat et les transports en commun. Evidemment, il a été question de péage urbain, mais l'hypothèse d'une vignette (comme en Suisse pour l'emprunt des autoroutes) a été considérée plus simple et plus facile à mettre en oeuvre.

Néanmoins, dans un cas comme dans l'autre, la mesure pourrait raviver le mécontentement social, notamment en grande couronne, où l'offre de services publics est moindre et les besoins plus foisonnants donc plus difficiles à couvrir. Tout au plus pourrait-on suggérer une modulation du tarif d'une éventuelle vignette, fonction de la consistance des services... en s'appuyant par exemple sur les zones de tarification du Navigo, avec un système cette fois-ci dégressif ?

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Montereau - 8 décembre 2018 - Pour être plus attractif, le service en grande couronne a été renforcé à partir de 2008, ce qui représente un coût élevé par rapport à un nombre de voyageurs restant bien inférieur à celui de la zone dense de l'agglomération, qui dispose d'un maillage plus important, mais qui reste lui aussi insuffisant. Le choix d'un tarif unique pour toute la Région reste une décision politique de court terme qui a bridé les capacité de l'autorité organisatrice à amplifier ses efforts. © transportparis

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Noisy-le-Sec - 4 avril 2012 - Le financement de l'exploitation du RER E prolongé à Nanterre puis à Mantes semble aujourd'hui à l'abri des difficultés actuelles. L'approche égalitaire sur la tarification, au lieu d'une démarche fondée sur les différences sociologiques des utilisateurs du réseau, a abouti à quelques contresens. Le développement de liaisons de rocade, à commencer par la ligne 15, imposera inéluctablement une remise à plat de l'organisation tarifaire. Une contribution supplémentaire des voyageurs, avec une approche fine des différentes catégories d'utilisateurs, n'est pas illogique, mais elle doit être aussi assortie d'une trajectoire d'amélioration du service. © transportparis

Il a été évidemment question d'une réduction de la TVA de 10 à 5,5 % sur les transports publics. On sait à quel point tout ministère des Finances de quelque couleur politique que ce soit y est irrémédiablement hostile. Et pourtant, si on devait renforcer le lien entre fiscalité et impact environnemental, la mesure serait forcément légitime.

Et les coûts de production ?

Cependant, il ne faudrait pas être hémiplégique dans cette réflexion et se contenter d'agir sur les recettes pour résorber le déficit. L'action sur les charges est tout autant indispensable, ce qui amène à examiner les modalités d'amélioration de la productivité de l'euro dépensé. Avant même d'envisager les effets de l'ouverture à la concurrence, c'est-à-dire principalement la possibilité de choisir son exploitant plutôt que de composer avec un monopole de droit, il y a un élement encore plus important puisqu'il concernera tout opérateur indépendamment de la façon dont il est désigné. L'amélioration des conditions d'exploitation est essentielle. S'il est un domaine où les actions sont les moins difficiles à mettre en oeuvre, du moins en principe, c'est bien celui-ci.  Un maître-mot : la vitesse commerciale.

Plus elle augmente, moins il faut de moyens pour produire un service. A l'inverse, si elle chute, soit il faut des moyens - donc des coûts - supplémentaires, soit il faut diminuer le service. C'est plutôt ce qui se passe, en particulier sur les réseaux de bus. Rien que dans Paris, en 15 ans, alors que la Ville de Paris met en avant une réduction du trafic sur son territoire, la vitesse commerciale des bus a chuté de 30 %. La situation est un peu différente en grande couronne mais il existe assurément un réservoir de performance pour rendre plus efficaces à tous points de vue les services d'autobus.

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Paris - Rue de Rivoli - 11 février 2022 - Cyclistes qui rient, autobus qui pleurent. Situation courante sur cette artère, et pourtant, tous les véhicules présent dans l'unique voie de circulation ont bien le droit d'y être : utilitaires d'entreprises de travaux, livraisons, taxis, VTC et autobus. Il faut désormais compter une bonne vingtaine de minutes pour que les autobus de la ligne 72 effectuent le trajet Hôtel de Ville - Concorde. Les conséquences de cette congestion se propagent jusqu'à Saint-Cloud. © transportparis

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Melun - Place Saint-Jean - 24 février 2018 - En grande couronne, les flux de déplacements sont beaucoup plus diffus et nécessitent un développement sans cesse croissant des lignes d'autobus et d'autocars. La lisibilité et l'efficacité de ces services sont encore largement perfectibles mais il faut des moyens ! © transportparis

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Le Vésinet - Route de Montesson - 22 septembre 2019 - L'amélioration de la circulation des autobus ne passe pas nécessairement uniquement par des voies réservées, où elles ne sont pas toujours possibles ni justifiées : en revanche, la gestion des carrefours est un levier intéressant mais qui nécessite une coordination des gestionnaires de voirie (communes, intercommunalités, Départements). © transportparis

L'amélioration de l'exploitation des réseaux de bus est un levier activable à court terme, mais suppose un accord politique, redorant le blason quelque peu abimé des transports en commun, afin de leur procurer des facilités de circulation : voies réservées (vraiment), priorité aux carrefours, mais aussi simplification des itinéraires, rationalisation du nombre d'arrêts, aménagement des véhicules... Un peu plus complexe, et de moindre portée par le nombre limité de lignes, il faut aussi agir sur l'exploitation des tramways, comme le suggère ce dossier de transportparis.

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Saint-Denis - Porte de Paris - 11 novembre 2022 - L'exploitation des tramways recèle d'importants réservoirs de performance permettant de faire plus d'offre sans forcément dépenser beaucoup mais il va falloir convaincre la Préfecture de Région, un opérateur souvent très frileux et des usagers de la voirie au comportement parfois dangereux. © transportparis

Quant au métro, au RER et aux lignes Transilien, les marges de manoeuvre sont plus difficiles car les conditions d'exploitation sont différentes avec un lien fort entre l'infrastructure et l'exploitation.

Entreprises, usagers, collectivités : quelles contributions ?

Sans surprise, les entreprises sont assez réticentes à voir le Versement Mobilités augmenter. Néanmoins, elles ont tout intérêt à participer au financement d'un bon service de transports en commun puisque c'est aussi le moyen de maîtriser leurs dépenses : que représente le coût des parkings pour les salariés ? Du côté des collectivités, la modulation est rendue difficile par l'encadrement sans cesse plus sévère de leurs dépenses par l'Etat, mais on pourrait considérer qu'elles peuvent aussi agir pour limiter les dépenses puisqu'elles sont généralement en charge de la voirie.

Enfin, l'usager : en proportion, leur participation tend à diminuer dans nombre de villes, et l'Ile-de-France n'échappe pas à ce constat. Mais on a bien vu que l'augmentation des tarifs est une mesure impopulaire dans le contexte actuel, entre inflation et crise de production du service. La comparaison avec Lyon est intéressante en dépit de la différence de taille du bassin de vie et d'organisation de la gestion des réseaux : les recettes voyageurs représentent la moitié des recettes du SYTRAL, par une politique d'augmentation régulière de la grille tarifaire et sa modulation selon les revenus des voyageurs. Il est donc probable qu'un aggiornamiento tarifaire devra s'imposer, probablement assez rapidement quand sera mise en service la ligne 15 du Grand Paris Express... et quand l'offre aura non seulement retrouvé son niveau nominal mais aura aussi gagné en qualité. Vaste programme !