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transportparis - Le webmagazine des transports parisiens

Un parfum de scandale ?

Financement et gouvernance : le bouquet final

Dès l’origine du projet, l’Etat décida d'affecter des ressources dédiées à la SGP sous la forme de taxes d’équipements sur la taxe d’habitation et les bureaux, garantissant environ 500 M€ de recettes par an, ressource sur lesquelles s’adossent l’emprunt de 21 MM€ pour la construction du réseau. Bilan, la SGP accumula une petite cagnotte les premières années et l’Etat décida d’en faire le palliatif à son incapacité à honorer ses contributions dans le CPER et certains grands projets, comme EOLE. Deux autorités organisatrices (c'est déjà partiellement le cas pour le STIF) mais surtout leur déplafonnement, pour augmenter les ressources pour développer les réseaux.

Le rapport de la Cour des Comptes, paru en janvier 2018, a décidé de soulever le tapis sous lequel l’Etat et la SGP cachaient la misère depuis près d’une décennie. Pour qui connait la mécanique de ces grands projets, le constat est pour le moins sidérant. Dérive des coûts = révision du périmètre, modification de la gouvernance et nouveau phasage. Tel serait en substance le résumé du rapport.

A vouloir contenter tout le monde, on finit par perdre le contrôle ?

La Cour considère que la SGP est une officine qui cherche plus la satisfaction des élus locaux que la maîtrise du coût du projet : 20 MM€ en 2009, 35 MM€ en 2017 (+3,5 MM€ de contributions hors Grand Paris Express), cela ne peut plus passe inaperçu. Au passage, elle critique le recours aux ressources de la SGP pour boucler le financement d'EOLE ou du plan régional pour les transports. Le budget de la SGP a ainsi servi de palliatif aux défaillances pécuniaires de l'Etat.

Elle souligne notamment les modifications de programme impactant le projet de plusieurs milliards d’euros sans réévaluation du bilan socio-économique ni même information du Conseil de Surveillance. Des exemples : un atelier de maintenance à Aulnay sous Bois (+592 M€), la modification de l’implantation de l’atelier de Rosny (+150 M€), la connexion des lignes 15 Est et 15 Sud à Champigny (+ 198M€), les correspondances RER – ligne 16 (+ 126 M€) tout comme la sous-estimation manifeste des provisions pour risques inhérentes à un chantier d'une telle ampleur : 8% sur la section 15 Sud contre 30 à 40% d’ordinaire dans les études préliminaires (les études d’avant-projet puis de projet devant faire accoster la provision à moins de 20%). Coût politique – Montant brut des travaux = provisions pour risques. Drôle de méthode !

C’est aussi sans compter les surprises géologiques, sous évaluées, alors que de l’aveu de certaines entreprises travaillant pour le compte de la SGP, certaines zones peuvent réserver de fortes et mauvaises surprises (Mont Valérien, La Défense…).

Plus cocasse, elle souligne qu'ont été intégrés certains avantages socio-économiques « non classiques », c'est à dire ne figurant pas dans les instructions ministérielles encadrant cette démarche. Ou comment enjoliver artificiellement un bilan qui, dans la réalité, serait moins flatteur. Comme un gamin qui explique qu’il a de la température après avoir passé le thermomètre sous le robinet d’eau chaude…

Et pour enfoncer le clou, la Cour considère que la volonté de faire aboutir les projets en vue d'obtenir les JO de 2024, en présentant un dossier ficelé sur la question de l'accès aux sites olympiques, a conduit à privilégier le calendrier sur la maitrise du coût. L’augmentation du nombre de tunneliers pour la ligne représente un « petit » surcoût de 626 M€. Bref, une vision trop politique du projet et une considération très gaulliste dans la veine de « l'intendance suivra »...

Le plus amusant, c'est que le comité d'organisation des JO s'offusque des perspectives de mise en service d'EOLE et du Grand Paris Express après la fin de l'olympiade. Quelle naïveté d'y avoir cru...

Le dérapage du coût du projet est aussi le fruit de l’hyper-concentration des chantiers sur une durée limitée qui sature la capacité de réalisation de la profession en France mais aussi en Europe. La taille du chantier est telle que des entreprises peu habituées se présentent, avec un impact à la hausse (elles au moins prennent des provisions pour aléas !). Au dépouillement des candidatures, les offres s’avèrent – comme sur les lots de la section Olympiades – Orly de la ligne 14 – de 25 à 30% supérieures aux « sous-estimations » de la SGP.

GPX2030

Cette carte de 2013 est déjà complètement obsolète : mais combien d'années supplémentaires faudra-t-il annoncer ?

Des effectifs trop limités et un pilotage trop politique

Autre élément mis en exergue, la faiblesse des équipes de la SGP, le recours massif et mal contrôlé aux assistants à maîtrise d'ouvrage et une difficulté à muer une structure de promotion d'un projet en réel maître d'ouvrage d’un système de transport souterrain à haut débit. La SGP emploie 271 collaborateurs, dont peu de techniciens, et doit gérer pas moins de 2271 contrats d'assistance à maîtrise d'ouvrage ou de maîtrise d'oeuvre ! En outre, les modalités de passation des marchés manquent selon la Cour de transparence. Quant aux finances, étant donné qu’elles relèvent de 2 temps plein et 2 étudiants en alternance… comment dire… « non mais allô quoi ! »

Le pilotage de la SGP est, depuis sa création, confié à des préfets, avec une vision exclusivement politique du projet pour s’attirer le soutien infaillible des élus. La Cour considère que la SGP n'est pas aujourd'hui en capacité de maîtriser le triptyque coût - fonctionnalités - délais du projet. La déclaration de Philippe Yvin (Président du Directoire, qu’on dit première victime de ce rapport) en octobre dernier en a laissé pantois plus d'un : « on ne peut savoir les vrais coûts qu'à la fin des travaux ». Aphorisme avec un joli effet de manche, mais inaudible quand il s'agit d'expliquer 50% de dérapage et de justifier le bricolage des provisions pour risques, et qui a fait hurlé tout directeur de projet ayant « déroulé du câble » ...

Heureusement que la SGP est une structure publique car les actions d'une entreprise privée auraient un petit arrière-goût d'Eurotunnel !

Il faut toutefois aussi souligner la responsabilité du monde politique : un démarrage à fond les manettes par Nicolas Sarkozy - qui annonçait que les projets EOLE, LNPN et du Grand Paris seraient achevés en 2020 ! - fondé sur une vision très primaire des besoins de mobilité en Ile de France, un calage par série de compromis entre l'Etat et la Région cherchant à ne faire aucun mécontent (donc en allongeant la liste de courses), le tout sur fond de gouvernance au mieux molle sinon complètement absente durant le quinquennat de François Hollande : le déficit de pilotage de la SGP par l'Etat est aussi responsable du bilan présenté par la Cour des Comptes.

Financement, dette et exploitation

La non-maîtrise du coût du projet est déjà un handicap, mais l’incertitude est à peu près aussi forte sur les recettes. La garantie d'Etat sur les recettes des différentes taxes est jugée dangereuse car leur rendement réel serait surévalué. Traduire : l'Etat aura du mal à rester en dehors du plan de financement du projet. Le risque de la situation actuelle, est un quadruplement des frais financiers pour tenir l'objectif de réalisation et surtout d'amortissement de la dette en 2095 au lieu de 2059 comme initialement prévu. Le coût financier du projet, remboursement des emprunts et intérêts inclus, pourrait atteindre 134 MM€ ! Conséquence, l'Etat serait appelé à la rescousse pour éponger la dette constituée, sauf à revoir drastiquement la consistance du projet afin de limiter les dégâts.

En revanche, un silence qualifié d'assourdissant par les experts plane sur les conditions de financement de l'exploitation car l'augmentation de 40% du kilométrage du réseau métro nécessitera des ressources nouvelles pour le STIF. Encore un sujet sous le tapis… à un milliard d’euros par an…

Un recadrage souhaitable ? possible ?

Vu du technicien, la reprise en mains du projet est essentielle, sauf à le transformer en scandale d’Etat, mais elle est quasiment impossible à vendre aux élus qui ne manqueront pas de jouer les ingénus : « on nous aurait menti ? » Après tout, ils ont consenti à y croire…

En janvier 2018, l’annonce du retrait de la candidature de Paris à l’Exposition Universelle de 2025 a été perçue comme un signal défavorable pour le devenir de la ligne 18 Orly – St Quentin en Yvelines. En revanche, Etat, Région, Départements et élus locaux, maire de Paris en tête de file, soulignent que l’Etat s’est engagé vis-à-vis de l’organisation des Jeux Olympiques de 2024 : « les transports, c’est dans la poche ! » a-t-on expliqué au Comité International Olympique. Manque de chance, la poche était percée… et au mieux, les lignes 14 et 15 ne seront pas prêtes avant la fin 2024, six mois après la fin des JO.

Quatre scénarios peuvent être esquissés :

  • maintenir l’intégrité du projet et tenir autant que possible le rythme, ce qui suppose d’augmenter les ressources de la SGP… et surtout les garantir : en clair, l’Etat doit se mouiller jusqu'au cou pour étouffer le scandale financier. Pas sûr que Bercy acquiesce…
  • étaler la réalisation dans le temps et reporter l’achèvement complet du projet à 2040, ce qui suppose de faire des choix et des mécontents, car il faudra de surcroît assurer la cohérence des phases transitoires ;
  • revenir sur certains choix techniques, notamment le principe d’un métro sur les lignes 16, 17 et 18 au profit d’un tramway rapide recourant ponctuellement à des ouvrages (viaducs ou tunnels) : il faudrait modifier la loi pour ajouter le qualificatif « léger » au terme « métro » ;
  • sortir le sécateur et abandonner définitivement des branches, quitte à provoquer un tollé, risquer des dépenses frustratoires, pour essayer de réduire drastiquement le coût du projet sans augmenter le besoin en ressources supplémentaires : dans le collimateur, les lignes 16, 17 et 18.

Pour transportparis, devraient être maintenus assurément les opérations sur les lignes 14 et 15, avec cependant une interrogation sur la section Rosny – Champigny de la ligne 15 qui pourrait être abandonnée au profit de la réutilisation de la section Rosny – Noisy-Champs attribuée à la ligne 11. Bref, la victoire d’Arc Express par KO. Cependant, le maintien de l’intégrité des projets 11-14-15 resterait assez cohérent.

Au-delà, la ligne 17 pourrait être abandonnée, surtout si était mis à l’étude un arrêt de CDG Express en gare de La Plaine Stade de France pour donner correspondance à la ligne 15 vers La Défense sans passer par Paris. La chalandise de la ligne 17 étant dominée par Europacity, le projet commercial sur le triangle de Gonesse (inutile compte tenu de l’impact sur les terres arables et de la saturation en zones commerciales du nord-est francilien, avec des réalisations récentes qui peinent à décoller), leur destin est lié. L’abandon pur et simple de la ligne 17 ne serait donc pas une mauvaise chose (encore une fois, en la compensant par une correspondance CDG Express – Ligne 15).

Pour la ligne 16, une remise à plat du dossier sur la base d’un tramway rapide pourrait être suggérée, suffisant eu égard aux prévisions de trafic. Quant à la ligne 18, un tramway, partiellement souterrain, entre Massy et l’université de Saclay pourrait ménager la chèvre (le contribuable) et le chou (les universitaires) : cette solution serait largement suffisante si on fait abstraction des prévisions de trafic peu sérieuse sur ce territoire, annonçant 20 000 voyageurs par heure pour… 20 000 flux quotidiens tous modes confondus enregistrés sur le plateau de Saclay !

Conclusion (provisoire)

Dix années de Grand Paris ont constitué un hold-up sur les questions de fond en matière de transport et d’urbanisme en Ile de France. La déconcentration à l’échelle de l’Ile de France n’est pas amorcée et les grandes transhumances est-ouest et nord-sud avec les RER A et B en tête d’affiche continueront de structurer la vie quotidienne. La métropole des courtes et moyennes distances, un « slow-urbanisme » plus économe en distance, temps et coût de transport, naturellement plus respectueux de l’environnement… tout ceci reste encore un vœu pieu et un objet de recherches universitaires.

Le Grand Paris, c’est le « tout-TGV sauce francilienne » : un objet vitrine, qui répond certes à des besoins (du moins en partie), pour assurer la notoriété de l’ingénierie française à l’exportation. Mais il y a les « oubliés du Grand Paris » : ceux qui, en grande couronne, ont besoin d’autocars rapides pour rejoindre les lignes RER ou Transilien, dans les territoires les plus éloignés, en Seine et Marne ou le sud des Yvelines ; ceux qui ont besoin de lignes de rocade de proximité, quand les autobus ne suffisent plus, comme dans la boucle de Montesson, sur un axe Houilles – Bezons – Argenteuil – Enghien ; ceux qu’on mène en bateau en leur faisant croire qu’une station de métro changerait l’image d’une ville trop connue pour ses faits divers…

A transportparis, nous avons planché sur deux démarches prospectives, concernant tramways et métro, répondant à des besoins identifiés et s’inscrivant dans le concept de compacité urbaine.

Il est certainement trop tard pour rectifier le tir sans dégâts politiques, techniques et financiers. Reste à trouver le moyen de limiter la casse. « Il n’y a que de mauvaises décisions » disait le Premier Ministre Edouard Philippe au moment d’annoncer l’abandon de Notre Dame des Landes. On peut dire la même chose du Grand Paris Express…

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