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transportparis - Le webmagazine des transports parisiens

Tramways parisiens : de la traction mécanique à l'électricité

Les Chemins de Fer Nogentais et l'air comprimé

Jusqu'aux années 1880, tous les essais de traction mécanique entrepris à Paris avaient utilisé la vapeur. En 1875, un ingénieur de Nantes, Louis Mekarski, avait mis au point un moteur fonctionnant à l'air comprimé et l'avait expérimenté dans la banlieue est de Paris. Il obtint la concession des tramways de Nantes et y mit en service en 1879 une première ligne exploitée par des automotrices à air comprimé. Le principe du système consiste à comprimer en usine l'air à 30 kg/cm3, à l'amener par des conduites souterraines jusqu'au terminus et à « charger » enfin des réservoirs situés sous le châssis des motrices. L'air comprimé est alors envoyé par l'intermédiaire d'un détendeur dans un cylindre qui entraîne un piston, comme dans une machine à vapeur.

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La motrice Mékarski nantaise vue ici sous l'un des halls qui abrita l'AMTUIR à Colombes, là où est érigé l'un des dépôts de la ligne T2 du réseau contemporain. Un essai de mécanisation intéressant mais contraignant. © transportparis

Les bons résultats obtenus à Nantes incitèrent Mekarski à demander la concession d'une ligne de la banlieue est au départ de Vincennes. Il crée les Chemins de Fer Nogentais (CFN) qui mirent en service le 21 août 1887 une ligne reliant Vincennes (Château) à Ville-Evrard (Asile). La ligne est exploitée par des automotrices à impériale ouverte pouvant tirer une ou deux petites remorques.

Le système de traction se révéla fonctionner parfaitement et la ligne des Nogentais assura dès 1888 un trafic de 632 000 voyageurs, chiffre qui a déjà doublé en 1890 avec 1 286 000 voyageurs. Ces résultats positifs permirent l'extension du réseau nogentais : mise en service en décembre 1888 d'un embranchement de Nogent à Bry-sur-Marne et, en juillet 1892, d'un prolongement de la ligne du Château à la porte de Vincennes. Enfin, une ligne de rocade est créée en juillet 1892 entre La Maltournée et Rosny-sous-Bois.

Les débuts de la traction électrique : les tramways à accumulateurs

C'est à la TPDS et à la CGPT que l'on doit l'essentiel du développement de la traction électrique sur les tramways parisiens avant 1900. La traction électrique a fait une apparition remarquée notamment en Allemagne et aux Etats-Unis. En France, un tramway électrique roule depuis 1890 à Clermont-Ferrand.

Or, le fil aérien est prohibé dans Paris : s'il n'est pas possible d'amener le courant électrique au véhicule, celui-ci doit le produire lui-même. C'est la conclusion de la TPDS : l'électricité apparaîtra tout d'abord sur les tramways avec les accumulateurs. Les voitures transportent avec elles leur propre source d'énergie. En septembre 1888, les Tramways Nord avaient mis à l'essai un tramway à accumulateurs entre la Porte Maillot et l'Etoile. Il s'agissait d'une ancienne voiture à chevaux sous laquelle on avait placé une batterie d'accumulateurs. A la suite de ces essais, la TPDS fut autorisée à appliquer la traction électrique par accumulateurs sur ses lignes de Saint-Denis à partir d'avril 1892.

Les automotrices comportaient une batterie d'accumulateurs à charge lente : la charge des batteries demandant plusieurs heures, les voitures rentraient à chaque voyage au dépôt de Saint-Denis pour échanger leur batterie usée contre une batterie neuve. Ce premier essai ne fut pas très brillant :  les accumulateurs placés sous les banquettes, dégageaient des vapeurs acides fort désagréables ... Mais on allait maintenant à Saint-Denis en 55 minutes au lieu d'une heure et demie, et le tramway montait la rampe de l'avenue de Saint-Ouen nettement plus vite que l'homme au pas !

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Puteaux - Vers 1900 Motrices TPDS à accumulateurs sur la ligne A, Courbevoie (Pont de Neuilly) – Pont de Suresnes en charge – Collection Th. Assa

Le développement de la traction à air comprimé sur le réseau CGO

Parmi les lignes concédées à la CGO en 1893 se trouvait la longue ligne urbaine TAD, Cours de Vincennes - Saint-Augustin. Cette ligne traversait l'est de Paris du nord au sud, au flanc des hauteurs de Belleville et des Buttes Chaumont. Le profil difficile dans la partie est excluait l'emploi des voitures à chevaux. La traction mécanique devenant indispensable, la CGO utilisa la traction à air comprimé. Pour faire face au mouvement important des voyageurs, on n'hésita pas à atteler aux motrices, à partir du 25 mai 1895, une remorque. Exploitée de façon rationnelle, la ligne verra régulièrement croître son trafic, elle deviendra l'une des plus importantes du réseau.

En août 1894, l'exploitation de la ligne TA, Louvre - Saint-Cloud, est également assurée par des locomotives Mékarski remorquant deux ou trois voitures. L'année suivante, la ligne TAB, Louvre - Versailles, est exploitée de la même façon.

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Paris – Gare de l’Est – Vers 1902 – Motrice Mekarski au terminus de la ligne TG, Montrouge – Gare de l’Est. La motrice tracte une ancienne voiture hippomobile transformée en attelage.

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Sur cette gravure présentant une automotrice Mékarski des Tramways Nord, on découvre à gauche la plateforme d'accès et les réservoirs d'air comprimé. 

Les tramways à plots de Romainville

Jusqu'alors, la banlieue est de Paris se trouvait déshéritée en matière de transports car son relief difficile rendait impossible la circulation des tramways à chevaux. La mise au point de la traction mécanique semble lever cette difficulté. Dès 1891 est présenté un avant-projet de tramway entre la place de la République et Romainville, par la place Gambetta et la porte des Lilas. La ligne est concédée le 4 avril 1895 à la Compagnie du Tramway de Paris à Romainville.

Le profil difficile de la ligne exigeait la traction mécanique ou électrique : on utilisa le système des plots ou contacts superficiels déjà expérimenté en 1894 à Lyon : dans l'axe de la voie et sur toute la longueur du parcours, se trouvaient placés des plots métalliques, distants de 2,50 mètres et dépassant de 5 millimètres le niveau de la chaussée, sur lesquels les motrices venaient prendre leur courant au moyen d'un long frotteur. Ces plots étaient reliés électriquement par groupes de quarante à des armoires de distribution situées sous la chaussée ; ils n'étaient mis sous tension (en principe tout au moins) qu'au moment du passage de la voiture grâce à un système.

La ligne fut mise en exploitation le 1er juin 1896. Le parc de matériel comprenait vingt motrices à impériale. L'installation du tramway dans les quartiers est de Paris montrait aux Parisiens étonnés les possibilités de l'électricité. Munies de deux « électromoteurs » de 20 CV, les voitures démarraient dans les rampes les plus dures. Mais l'installation péchait par la complexité de son système de distribution et l'exploitation connut de nombreux déboires. Malgré ces difficultés, le tramway de Romainville put faire face à un trafic important : au cours des sept premiers mois de fonctionnement, en 1896, il transportait 2 999 000 voyageurs, posant la question de l'adaptation de la technique au fort trafic.

L'apparition des tramways à trolley en banlieue

Vers la fin du siècle, les ennuis causés par la traction mécanique semblent indiquer que l'avenir est à la traction électrique. Mais les difficultés rencontrées avec les tramways à accumulateurs ou à plots montrent que le problème de l'alimentation n'a pas encore été résolu de façon satisfaisante.

Dans plusieurs villes de province, on utilise déjà le trolley pour capter le courant sur un fil aérien, avec d'excellents résultats. Malheureusement, à l'intérieur de la Capitale, le fil aérien est proscrit pour des raisons d'esthétique. Le fil aérien va donc faire son apparition d'abord en banlieue, puis se rapprocher petit à petit de Paris.

La première transformation concerne la ligne Le Raincy - Montfermeil, créée en 1890 en traction à vapeur. La ligne, appartenant à une compagnie privée, est électrifiée en 1895. En 1897, au nord de Paris, une nouvelle entreprise met en service un tramway Montmorency - Saint-Gratien destiné à rabattre les habitants de ces deux communes vers la gare d'Enghien. La ligne, établie à voie métrique, est exploitée par traction électrique à trolley.

Durant les années 1890, les trois grandes compagnies cherchent à moderniser leur réseau, la plupart de leurs lignes faisant toujours appel à la traction animale. La TPDS, décide la suppression totale de la traction animale et s'oriente vers la traction électrique, mais l'interdiction du fil aérien dans Paris la conduit à essayer ce mode de traction sur deux petites lignes desservant Pantin et Le Prés-Saint-Gervais. Les deux lignes sont mises en service en juillet et décembre 1897. La TPDS amène pour la première fois le fil aérien aux portes de Pris. Il reste alors à franchir les Fortifications pour installer la ligne aérienne dans Paris, chose faite l'année suivante.

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Montfermeil – Barrière Blanche – Vers 1900 – Le nouveau tramway du Raincy à Montfermeil, construit à voie métrique, était desservie par de petites motrices à deux essieux. La ligne circulait sur accotement hors traversée du Raincy. La vue a été prise sur l’actuelle avenue Jean Jaurès où le tramway est revenu en 2019… Collection Th. Assa

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Aubervilliers – Vers 1903 - Terminus TPDS de la ligne G, Aubervilliers - République. Plusieurs motrices type Aubervilliers, mises en service en 1898 attendent l'heure du départ. Hors de Paris, ces voitures prenaient le courant par perche. En entrant dans Paris, la perche était baissée et les motrices fonctionnaient sur batterie d'accumulateurs. Collection Th. Assa

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Paris - Vers 1910 - Les tramways de l'Est Parisien purent circuler sous fil aérien, solution qui apparaissait à de nombreux techniciens comme la solution la plus fiable. Mais il fallut convaincre les architectes...

Le tramway à caniveau souterrain

Depuis sa réorganisation, le réseau CGPT était resté entièrement à traction animale. La CGPT décide de moderniser son réseau en choisissant la prise de courant sur fil aérien et en caniveau souterrain.

Dès 1896, des démarches sont engagées par la CGPT auprès du Conseil de Paris pour obtenir l'autorisation d'installer le fil aérien sur une partie du trajet intra-muros de la ligne de Charenton à la Bastille. La compagnie propose de limiter l'emploi de la ligne aérienne aux grandes artères et de construire la prise de courant souterraine à la traversée des places. Dans l'avenue Daumesnil, le fil aérien est suspendu à des poteaux ouvragés placés entre les deux voies, dans l'axe de la chaussée. A la traversée de la place Daumesnil, de la rue de Lyon et de la place de la Bastille, le fil aérien est interrompu et les motrices prennent leur courant sur deux rails situés au fond d'un caniveau axial à la voie ; la captation du courant s'effectue alors au moyen d'une charrue, sorte de frotteur que l'on descend au début des sections équipées en caniveau et qu'on remonte à la reprise du fil aérien. Les motrices bidirectionnelles, sans impériale, montées sur un truck Thomson, comportent une caisse à plateformes extrêmes avec accès dans l'angle. 

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Paris - Avenue d'Antin - au tournant du siècle - Les travaux d'installation du caniveau axial ont aussi permis de moderniser les installations. Le service était maintenu soit par adoption d'un nouveau plan de voies soit par l'aménagement de voies provisoires. (cliché X)

La ligne est ouverte à l'exploitation le 9 novembre 1898 et connaît immédiatement un grand succès. Pour faire face à cet afflux de voyageurs, on ajoute aux motrices une petite remorque ouverte dès l'été 1899. Cette ligne de tramway servira de modèle à toutes celles qui seront construites ultérieurement.

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Paris – Porte Dorée – Vers 1899 – Motrice électrique CGPT prenant son courant par perche passant l’octroi de la Porte Dorée, matérialisant les limites de Paris, qui disparaîtront dans le premier tiers du 20ème siècle. Collection Th. Assa

Les hésitations de la CGO

Alors que toutes les compagnies se tournent maintenant vers la traction électrique, la CGO suit une voie différente : son réseau reste en grande partie exploité par des voitures à chevaux. L'effectif de la cavalerie augmente même dans les années 1890. Il est difficile de transformer rapidement une exploitation de cette importance. Mais l'Exposition de 1900 approche et l'image que donne la CGO de son réseau est déplorable. La traction électrique est totalement absente, la traction à vapeur ne comprend que des automotrices bruyantes et la traction mécanique se limite aux automotrices Mékarski de la ligne Cours de Vincennes - Saint-Augustin et aux locomotives du même type qui tirent les voitures de Versailles et de Saint-Cloud.

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Paris - Place Péreire - Vers 1906 - La CGO hésite alors que d'autres compagnies expérimentent différentes techniques. Les accumulateurs Hellmann sont ainsi retenus par les TPDS afin d'électrifier les tramways sans recourir au fil aérien.

La compagnie envisage la modernisation de quelques-unes de ses lignes les plus importantes pour pouvoir faire face à l'Exposition de 1900. Faute de pouvoir utiliser la traction électrique, elle décide d'appliquer la traction à vapeur sur deux grandes radiales. En 1897, elle met en service une grosse série de véhicules à vapeur : soixante automotrices Serpollet équipent d'abord la ligne TI, Cimetière de Saint-Ouen - Bastille, puis la ligne TQ, Porte d'Ivry - Les Halles. Les automotrices Serpollet seront suivies en 1899 par cinquante automotrices à vapeur Purrey, à impériale et trente-six motrices Purrey sans impériale.

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Paris – Boulevard Barbès - Vers 1903  - Automotrice Purrey de la CGO mise en service en 1899. Le générateur de vapeur était placé à l'avant et se composait de deux collecteurs réunis par un faisceau tubulaire et deux colonnes d'eau. Avec ce matériel mis en service tardivement, la CGO n'offrait pas un aspect moderne comparé aux autres compagnies qui commençait à électrifier leurs lignes ... Collection Th. Assa

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Paris - Quai du Louvre - Avant 1910 - La CGO se dota également d'automotrices Rowan, ici sur la ligne TK Louvre - Créteil. On notera l'allure frêle de la caisse, reposant sur un bogie et un essieu à l'arrière.

Le bilan à la fin du siècle

A la fin des années 1890, Paris et sa banlieue sont desservis par neuf compagnies de tramways, l'une d'elles, la CGO, exploitant également un important réseau d'omnibus. La multiplicité des modes de traction compliquent les exploitations et ne donne pas, loin s'en faut, une impression d'unité. Or, si l'électricité apparaît un moyen d'avenir, le cheval et la vapeur dominent encore :

  • la CGO dessert l'essentiel de son réseau par tramways à chevaux mais a tardivement équipé deux lignes en traction à vapeur et deux lignes en traction à air comprimé ;
  • la TPDS a équipé la totalité de son réseau en traction électrique par accumulateurs, à l'exception d'une ligne dotée antérieurement de la traction à vapeur sans foyer ;
  • la CGPT, restée presque entièrement à traction animale, a transformé une ligne en traction électrique à fil aérien et caniveau souterrain, et envisage la généralisation de ce système ;
  • les compagnies apparues plus tardivement ont d'emblée adopté la traction mécanique : la vapeur sur le PSG et le PA, l’air comprimé sur les CFN et les TSM, et à câble sur le funiculaire de Belleville ;
  • Le Tramway de Romainville (TR) s'est lancée dans la traction électrique par contacts superficiels.

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Paris - Avenue de la Grande Armée - Vers 1902 - A hauteur de l'entrée du métro Obligado (aujourd'hui Argentine), une motrice Francq à vapeur sans foyer tracte deux voitures à destination de Courbevoie.

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 Plan du réseau des tramways parisiens au 31 décembre 1893 - Document Jean Robert

Vers chapitre 3

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