Dernière née en Ile de France, mise en service le 16 décembre 2014, la ligne T8, longue de 8,5 km seulement, est aussi la plus courte d’Ile de France. Elle présente la particularité d’être constituée en Y avec un tronc commun et deux antennes. Elle s’inscrit dans un développement soutenu des TCSP en Seine Saint Denis, amorcé dès 1992 avec T1, mais sans encore former réellement de réseau.
Genèse de la ligne
Le principe d’une ligne en site propre entre Saint Denis, l’université de Villetaneuse, particulièrement mal desservie, et Epinay sur Seine apparaissait dès 1999 et ses études furent intégrées au CPER 2000-2006, ce qui permit d’engager les différentes étapes de concertation dès l’été 2001.
A l’issue des études préliminaires, le schéma de principe était approuvé le 4 février 2003. La question du matériel roulant restait en suspens durant un an et le STIF trancha en faveur du tramway classique, faisant le constat d’une absence de pertinence des systèmes sur pneus, qui avaient pourtant été retenus – imposés ? – sur T5 et T6. L’enquête publique était réalisée du 20 novembre 2006 au 6 janvier 2007, et le projet était déclaré d’utilité publique le 27 décembre 2007. La convention de financement était signée le 14 février 2008. Les prévisions de trafic alors réalisées tablaient sur 55 000 voyageurs par jour.
Initialement appelé SDEV (Saint Denis / Epinay / Villetaneuse), le projet prenait le nom de Tram’y dans les documents de communication, avant de devenir finalement T8. Les travaux débutaient en juin 2010 avec les déviations de réseaux puis les acquisitions foncières.
Le coût total du projet atteint 244 M€ financé d’abord par la Région (190,3 M€), le Département de Seine Saint Denis (46,2 M€), l’Etat (5,3 M€), l’Agglomération de Plaine Commune (5,3 M€) et la RATP (300 000 €).
Tracé de la ligne
La ligne T8 reprend le tracé d’anciennes lignes de tramway et notamment le 54 Enghien – Trinité des abords de la gare d’Epinay sur Seine jusqu’au passe sous les voies ferrées des Chemins de fer du Nord.
Sur cette carte postale d'avant 1914, un tramway de l'Enghien - Trinité circule en accotement de la voirie qu'emprunte aujourd'hui, avec beaucoup plus de bâti et de circulation, la ligne T8, implantée elle en position axiale.
La ligne T8 comprend 17 stations. Elle est en correspondance avec la ligne 13 du Métro à son terminus Saint Denis Porte de Paris, puis avec les lignes RER D, Transilien H et T1 à la gare de Saint Denis, puis avec le RER C en gare d’Epinay sur Seine. A Saint Denis, la configuration du site et la densité de circulations piétonnes n’a pas simplifié la conception du pôle d’échanges et la station de T8 se retrouve de l’autre côté du canal Saint Denis, franchissable par une passerelle pour accéder à la gare. La courbe du boulevard Marcel Sembat a également imposé un éloignement de la station vis-à-vis du T1. A Epinay sur Seine, les voiries accédant à la gare sont exiguës et incompatibles avec le tracé de la ligne dont le terminus se situe dans le quartier Orgemont. La station du tramway est ainsi éloignée d’environ 300 m des quais du RER C et de T11, la tangentielle Nord.
Epinay sur Seine - Avenue Salvador Allende - 14 janvier 2015 - Les aménagements de la ligne T8 ne procurent guère de surprises : les voies sont majoritairement engazonnées ou pavées.© transportparis
L’arrivée du T8 à Saint Denis s’est d’abord traduit par la métamorphose complète du carrefour de la Porte de Paris dans le cadre du ZAC afin de redonner un aspect plus urbain et moins autoroutier à ce carrefour.
Saint Denis - Porte de Paris - 14 janvier 2015 - Une rame à destination d'Epinay quitte le terminus. Le site est méconnaissable depuis la construction du tramway. L'échangeur autoroutier, en partie surplombé d'une gare routière, a disparu. © transportparis
La ligne est caractérisée par une sinuosité assez prononcée, d’abord dans le quartier de la Poterie à Saint Denis, et notablement sur la branche de Villetaneuse où les alignements sont de longueur insuffisante pour prendre un peu d’allure. En revanche, la branche d’Epinay est d’abord très rectiligne puis compose à son tour avec de multiples courbes et contrecourbes pour rejoindre la rue Félix Merlin.
Epinay sur Seine - Avenue de la République - 6 décembre 2014 - Longue et rectiligne avenue pour T8 qui peut ici pratiquer des vitesses plus soutenues à condition que les carrefours soient correctement réglés pour assurer la priorité aux tramways ! © transportparis
De ce fait, la vitesse moyenne de la ligne, annoncée à 20 km/h, suppose une certaine dextérité des conducteurs, et surtout un bon fonctionnement de la priorité aux carrefours, ce qui reste encore le point – particulièrement – faible des tramways en Ile de France : la vitesse moyenne réelle peine à dépasser les 16 km/h, soit à peine plus que celle des autobus. Une reprise du paramétrage des feux est donc indispensable, d'autant que la fréquentation de la ligne semble conforme aux prévisions.
En outre, le 1er juillet 2017, la branche de Villetaneuse a reçu la correspondance avec T11, la tangentielle nord, au terminus de l'université, améliorant encore le maillage du nord parisien.
Saint Denis - Rue de la Poterie - 14 janvier 2015 - Sortie du quartier de la Poterie pour cette rame de T8 qui s'engage sous le pont du chemin de Fer à vitesse réduite en raison d'une hauteur de passage réduite qui implique un abaissement rapide et prononcé du pantographe. La RATP semble très prudente sur ces passags inférieurs avec des vitesses de 10 km/h seulement. © transportparis
Le matériel roulant
Le service est assuré avec 20 rames Alstom Citadis 302 issues d’une commande commune avec T7, au gabarit de 2,40 m. Seule différence : la couleur des sièges. Le financement de leur acquisition a été supporté par le STIF au moyen d’un prêt de la Banque Européenne d’Investissements. Leur maintenance est assurée dans un atelier situé au-delà du terminus de la branche de Villetaneuse, le long de la Grande Ceinture.
Villetaneuse - Rue Pablo Neruda - 14 janvier 2015 - Le ciel très contrasté met en valeur l'élégante livrée des rames de T8, déjà apparue sur T7. Seule change la couleur des sièges et de l'habillage intérieur. © transportparis
Le prolongement à Rosa Parks
La mise en service de la première phase de la tangentielle nord (T11) entre Epinay sur Seine et Le Bourget a procuré deux nouvelles correspondances à T8, à la gare d'Epinay mais aussi au terminus de l'université de Villetaneuse, influant assez peu sur la fréquentation, qui, après 4 ans d'exploitation, a légèrement dépassé sa prévision de trafic avec 62 000 voyageurs par jour.
Un prolongement de T8 est prévu jusqu’à la gare Rosa Parks dans le 19ème arrondissement, en correspondance avec le RER E et la ligne T3. Cette extension desservira notamment La Plaine Saint Denis, le stade de France où sera proposée une correspondance avec le RER B. T8 donnera également accès au métro 12 à la station Front Populaire.
Le projet faisait initialement partie des propositions faites par la candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2012 mais il a été confirmé après son échec : les études préliminaires ont été lancées en 2013. Sa mise en service, initialement envisagée en 2020, continue d'être reportée.La ligne ne sera pas prête pour les Jeux Olympiques de 2024, alors que la ligne traversera le village olympique. Il est désormais question de 2028 voire 2030.
L'arrivée de T8 à Paris a été initialement envisagé par la porte d’Aubervilliers, en passant au-dessus du souterrain emprunté par T3, avant de descendre sur l’esplanade, certes vaste, mais très fréquentée depuis l'ouverture de la gare Rosa Parks et la transformation du quartier. Le tiroir de terminus aurait été installé sous les voies ferrées. Cependant, le dossier de concertation préalable (organisée du 9 septembre au 26 octobre 2019) présentait de nouveaux scénarios pour le terminus, éloignant T8 du RER E et de T3 pour ne pas l'installer sur l'esplanade. Un sujet qui assurément devra être rectifié dans le courant des études.
Comme pour T7, l'important retard de la phase 2 fragilise la levée des options du marché du matériel roulant passé en 2011. Aussi, un scénario alternatif regrouperait les actuelles rames de T7 et T8 sur l'une des deux lignes, l'autre étant équipée en matériel neuf avec le marché prévu pour T1 qui prévoit 120 rames pour un besoin réel de 90.
D'autres extensions ?
Au-delà, l’Atelier Parisien d’Urbanisme a planché sur le prolongement de T8 au cours de Vincennes ou a minima au Buttes Chaumont en empruntant la Petite Ceinture. L’option courte semble possible et même intéressante pour donner deux correspondances supplémentaires avec le métro (lignes 5 et 7) dans des conditions assez correctes : la Petite Ceinture est certes en viaduc mais les entrées de station sont à proximité immédiate de ces ouvrages. En revanche, au-delà, le prolongement serait plus délicat puisque la Petite Ceinture est essentiellement en tunnel. La reprise de l’ouvrage pour mise aux normes de sécurité incendie et le coût prévisible de sa modification pour créer de nouvelles stations apparaissent d’ores et déjà dissuasifs. D’autres réflexions envisagent un prolongement vers la Gare de l’Est. Cependant, aucun d’entre eux n’est aujourd’hui instruit. La priorité est d’atteindre Rosa Parks.
De l’autre côté de la ligne, quelques demandes ont été formulées pour prolonger la branche d’Epinay vers Argenteuil ou l’agglomération de Cergy-Pontoise, souvent en marge de campagnes électorales. Le prolongement vers Argenteuil nous semble plus porteur mais pose la question de la requalification de la voirie pour dégager un itinéraire compatible avec la circulation du tramway en site propre.
La mise en réseau
Croisant T1 à la gare de Saint Denis, la ligne T8 n’est pourtant pas raccordée à elle. Pourtant, deux jeux d’aiguilles ont été posés, l’un sur T1 et l’autre sur T8… mais pas la dizaine de mètres de voie les raccordant. Situation ubuesque (l'Ile de France n'a vraiment pas peur du ridicule) qui prive de souplesses d’exploitation et de maintenance du matériel.
Saint Denis - 6 février 2014 - Amorce du raccordement à T1 dont les voies se situent 10 m derrière le photographe. Ce qu'on appelle faire des économies substantielles ! © transportparis
On notera également qu’il serait possible de raccorder T1 et T8 pour des usages commerciaux cette fois-ci en deux points, formant un triangle dans le centre de Saint Denis : par la rue Paul Eluard, au nord de la station Théâtre Gérard Philippe de T1, et par le boulevard Jules Guesde, au sud de cette dernière.
On ne peut non plus passer sous silence – une fois de plus – l’absurdité du choix du Translohr sur T5, qui prive Saint Denis d’un réseau homogène de tramways qui aurait permis aux rames venant de Sarcelles de venir directement soit à la gare de Saint Denis, soit à la Porte de Paris pour rejoindre le métro 13. Pour un territoire très dépendant des transports en commun, la multiplication des correspondances complique le parcours du voyageurs et l’exploitation pour la RATP, compte tenu des forts échanges rencontrés, notamment à la station Marché de Saint Denis entre T1 et T5, l'homogénéité entre T1, T5 et T8 aurait permis de constituer un véritable réseau et d'envisager quelques troncs communs pertinents, notamment dans la traversée de Saint Denis et pour contribuer à soulager T1.