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transportparis - Le webmagazine des transports parisiens

T4 : une accumulation de mauvais choix

Pourquoi T4 n'est pas un tramway ?

Présentée comme un moyen de simplifier l’exploitation, la modernisation de la ligne des Coquetiers s’avère en réalité une parfaite synthèse de la capacité du système ferroviaire français à rendre compliqué, onéreux et peu efficace ce qui pourrait être simple, économique et performant.

La liaison Bondy - Aulnay réunissait toutes les conditions pour devenir un tramway, assez comparable dans son principe à la ligne T2, mais avec une insertion plus urbaine que la section La Défense - Issy-les-Moulineaux. Or, piquée au vif par la RATP devant le succès de la résurrection de cette ligne, la SNCF devait prouver aux décideurs - et à elle-même - qu'elle était capable de faire aussi bien. T4 a donc servi de vitrine... ou plutôt de laboratoire, car il faut bien admettre que le résultat n'est pas à la hauteur. Certes, les rames roulent et pour la plupart des voyageurs, c'est transparent. Mais quand on s'y intéresse de plus près, T4 est une accumulation de mauvais choix sur fond de rivalité entre la RATP et la SNCF dans un contexte où l'autorité organisatrice était cantonnée à un stapontin qui ne lui permettait guère d'avoir voix au chapitre.

Passons en revue les différentes faiblesses de T4.

Un tramway en 25 kV

L’alimentation en 25 kV par la sous-station de Noisy-le-Sec sur le réseau Paris-Est impose des équipements lourds et pour le moins disgracieux dans le paysage urbain. Argumentation à l’origine : le choix du 25 kV a éludé l’investissement en sous-stations 750 V pour un tramway classique afin de réduire le coût du projet.

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Livry-Gargan - 20 septembre 2019 - En pleine zone urbaine, la bifurcation est un modèle d'insertion paysagère, avec une emprise ferroviaire générant un effet de coupure très important, sans aucune recherche esthétique. Sur le site, on compte pas moins de 12 grandes potences pour la caténaire. Notez à droite la pancarte U25500 INTERDIT : les Avanto ne sont pas compatibles avec la voie sur la branche de Montfermeil ! © transportparis

Or la création de l'antenne de Montfermeil imposait une alimentation en 750 V continu. La réélectrification de la zone de Gargan allait donc être impérative pour ne pas créer de caténaire 25 kV en voirie, puisqu'il aurait fallu couvrir une partie de l'avenue de la République pour installer la section de séparation.

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Livry-Gargan - 20 septembre 2019 - Revoici le T4 avec une exploitation en Dualis, le temps de modifier les Avanto à la nouvelle configuration de la ligne. Cela ne se voit pas, mais cette section, en dépit de sa caténaire bien ferroviaire, est alimentée en 750 V continu et non plus en 25 kV 50 Hz. © transportparis

Mais cette reprise de la caténaire de part et d'autre de Gargan a été conçue de façon surréaliste avec pas moins de 7 isolateurs de section consécutifs de part et d'autre de la zone neutre, soit 28 appareils au total sur les 2 voies... bien plus que sur une section de séparation classique entre une zone en 1500 V et une zone en 25 kV (où un isolateur à chaque extrémité de la zone neutre suffit).

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Livry-Gargan - 20 septembre 2019 - Deux vues de la section de séparation entre la zone alimentée en 750 V (au premier plan) et celle sous 25 kV (en arrière-plan). Les pancartes sont bien celles du domaine ferroviaire, très discrètes. La première photo indique l'annonce du sectionnement. La seconde vous présente l'exécution (coupez courant, ouverture du disjoncteur, fermeture du disjoncteur, reprise de traction), avec au milieu une pancarte jaune indiquant le changement de domaine électrique. Regardez la caténaire : oui, il y a bien 7 isolateurs de section... soit 6 segments élementaires neutres pour un changement de tension. Le même dispositif a été installé à Pavillons sous Bois. © transportparis

Un matériel roulant cher et peu adapté à un trafic urbain

T4 utilise des rames de type tram-train aptes au 25 kV 50 Hz et au 750 V continu, puisque le projet a conservé le principe d'une alimentation ferroviaire, qui allait téléscoper son développement en voirie de façon plus conventionnelle. Outre l’usage du 25 kV déjà présent, le tram-train a évité la réalisation d’un atelier de maintenance spécifique.

Résultat : un surcoût de 2M€ par rame. Rien qu'avec les 15 rames initiales, il y avait de quoi financer non seulement l'atelier de maintenance mais aussi l'alimentation électrique dédiée en 750 V. Alors avec 30 unités pour l'ensemble de la ligne... Et comble de l'ironie, l'atelier a finalement été construit, mais au titre de la création de T11.

Les Avanto interdits à Montfermeil

Deux matériels sur T4 dont un n'est pas autorisé sur la nouvelle section urbaine mise en service en 2019. Premier argument : les Avanto sont dotés de roues à profil ferroviaire incompatibles avec le rail à gorge urbain. Second argument : le profil du tracé, notamment la rampe de l'avenue Maurice Audin à Clichy-sous-Bois, est considérée trop raide pour ce matériel.

Conclusion assez logique : en 2021, Ile de France Mobilités a décidé de commander de nouvelles rames Dualis pour se séparer des Avanto avec l'espoir de les revendre. Voilà qui alourdit encore un peu plus le poste Matériel Roulant de la facture de la solution tram-train. Si T4 avait été conçu en tramway urbain, ce sujet ne serait pas apparu. La commande de 13 rames Dualis pour 70 M€ (5,38 M€ par rame) aurait donc été superflue. Le maintien du 25 kV coûte décidément très cher !

Les Dualis pas vraiment à l'aise en urbain

Les trams-trains d'Alstom ont été difficiles à mettre au point pour circuler sur le réseau ferroviaire à cause d'un bogie de facture assez urbaine, peu à l'aise sur une voie ferrée traditionnelle qui peut avoir ses imperfections. Même sur voie neuve sur T11, le roulement est raide et la suspension limitée du fait d'un plancher bas intégral pas vraiment indispensable. Sur la section urbaine de T4, le Dualis était attendu. Déception : en courbe, il se comporte de la même façon que le Citadis avec une vitesse de 15 km/h, une propension à crisser sèchement avec à la clé une usure ondulatoire déjà perceptible du rail. En alignement, c'est mieux, mais sans atteindre la douceur d'autres matériels urbains, comme les .

Ajoutons que si les Avanto offrent 5 portes sur 37,5 m de long, les Dualis, longs de 42 m, ne disposent que de 4 portes. C’est encore pire que sur le TFS du T1… mais heureusement, le trafic est moins dense !

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Clichy-sous-Bois - Avenue de l'avenir - 8 mai 2021 - L'insertion en courbe des Dualis à bogies Ixège n'est pas significativement meilleure que celle des Citadis à bogies Arpège. Et avec 4 portes pour 42 m, on ne peut pas dire que le matériel soit taillé pour la ville et les grands axes. © transportparis

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Livry-Gargan - 14 juillet 2007 - L'Avanto, plus court de 5 mètres, propose néanmoins une porte de plus : une configuration plus urbaine qui constitue un point positif de ce matériel. Son roulement est un peu meilleur, au prix d'un plancher bas partiel, les espaces au-dessus des bogies moteurs extrêmes étant surélevés. © transportparis

Le terminus de Bondy

C’est en cours d’étude que SNCF Réseau s’est rendue compte que le terminus de Bondy, à 2 voies avec une croisée en avant-gare, ne pourrait pas gérer une exploitation à la cadence de 3 minutes. S’il n’est jamais trop tard, c’est tout de même révélateur d’une déconnexion entre le programme des travaux et le plan de transport. Les bases du transport ferroviaire…

Résultat, la station a été reportée de 150 m côté Aulnay pour créer une arrière-gare afin de pouvoir recevoir 4 rames en station : 2 à quai et 2 dans le tiroir.

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Bondy - 22 septembre 2017 - L'ancienne station terminus de Bondy sert maintenant d'arrière-gare. Bricolage in extremis sur un projet dont on a non seulement oublié le chapitre relatif à l'insertion urbaine... mais abordé trop tardivement le chapitre - bien plus important - de l'exploitation. © transportparis

« L’usager au service de la SNCF » ou « Les sévices de la SNCF à l'usager » (à vous de choisir) en illustration : les voyageurs du T4 doivent donc parcourir 150 m de plus pour effectuer la correspondance T4 – RER E. Evidemment, sans abri sur le cheminement !

Des travaux qui ont duré...

T4 a surtout défrayé la chronique récente pour ses travaux à n'en plus finir, liés à la réalisation de l'antenne de Montfermeil. En plus de 30 ans de renouveau du tramway en France, on n'avait jamais vu pareille durée d'interception pour poser au final 2 aiguilles et 2 traversées obliques. Mais il fallait en plus réélectrifier et recréer un poste de commandement puisque celui qui avait été créé pour la première étape était situé exactement à l'emplacement de la future antenne. Ainsi, au total, on a frisé en cumul une année d'interception de l'exploitation, dont 6 mois de façon continue entre mars et septembre 2019.

Comment s’en sortir ?

A la lumière de ce qui ressemble à un procès à charge, on comprend mieux l’erreur du choix technique qui a prévalu à la modernisation de la ligne des Coquetiers. Beaucoup d’œufs cassés pour une omelette au final indigeste… Avoir acheté 30 rames présentant un surcoût unitaire de 2 M€ chacune, pour finalement racheter 13 rames pour 70 M€ de plus afin de se séparer des 15 premières suffit à démontrer l'erreur fondamentale du T4. Pour 130 M€, il y avait largement de quoi réaliser l'atelier indépendant, l'alimentation en 750 V, une insertion urbaine plus avenante... et de garder une provision d'économies.

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Livry-Gargan - 8 mai 2021 - T4 et son insertion urbaine. Un contrepied à l'école française qu'on dit parfois un peu trop attachée à certains détails. Mais dans le cas présent, il y avait moyen de faire mieux. Sauf qu'on a préféré compliquer à l'excès le projet avec un matériel au prix fort. © transportparis

Il aurait été plus simple, plus économique et plus performant de faire de T4 un vrai tramway… ce qui impliquait de se passer de la SNCF. Le STIF de l'époque aurait dû choisir un exploitant : ce n'était pas la partie la plus facile puisque la ligne se situe aux limites de plusieurs domaines historiques de monopoles (celui de la RATP et les ex-TRA).

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Suresnes - 14 janvier 2012 - Le T2 reste l'exemple réussi de transformation d'une ligne ferroviaire. Transférée à la RATP en 1993, la ligne a rouvert 4 ans plus tard sous la forme d'un tramway classique, qui en a inspiré d'autres en France... mais pas Aulnay - Bondy... © transportparis

Redresser la barre sera douloureux. L’atelier de Noisy-le-Sec n’est pas accessible facilement, et implique l’emprunt des voies de Paris Est alimentées en 25 kV. Il est, rappelons-le, également utilisé pour les rames de T11, qui circulent aussi sous 25 kV, et sur le réseau ferré interopérable entre Le Bourget et Noisy-le-Sec pour accéder à ces installations… du moins tant que les voies dédiées du tram-train n’auront pas été réalisées sur cette section.

Donc pour T4, une exploitation en 750 V impliquerait soit la construction d’un nouvel atelier de maintenance, soit la création d’un itinéraire indépendant des voies de Paris Est pour arriver à l’atelier, qui devrait être réalimenté en 750 V… exportant donc la contrainte sur T11.

Bref, une issue par le haut apparaît peu probable à court ou moyen terme. Il faudra donc durablement composer avec les défauts de T4... Ira-t-on jusqu’à imaginer un appel d’offres portant non seulement sur l’exploitation de la ligne mais aussi sur une « re-conception » de l’infrastructure, pour en faire ce qu’il aurait dû être dès le début, c’est-à-dire un vrai tramway urbain ? Deux hypothèses :

  • une solution limitée au T4, avec un nouvel atelier de maintenance dédié ;
  • une autre incluant le T11, entrainant sa réélectrification en 750 V, à condition de prolonger T4 et T11 à Noisy-le-Sec hors du réseau ferroviaire.

En 2021, Ile de France Mobilités a décidé de faire des trams-trains les premiers cas de mise en appel d'offres de l'exploitation. Il sera donc intéressant d'observer le positionnement des candidats sur ces lignes qui ne brillent pas par leur ratio coût-efficacité.

Et on aurait pu croire que T4 serve de leçon : il n'en est rien. Intéressez-vous donc à T13 !

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