Après le cafouillage lors du changement de délégataire du contrat Vélib', l'annonce d'un possible arrêt à court terme du service Autolib' vient un peu secouer le secteur des modes de transports alternatifs. Lancé en 2008 dans le sillage des vélos en libre-service, Autolib' devait incarner un nouveau rapport entre la ville et l'automobile. Pour Bolloré, son promoteur, il s'agissait aussi de promouvoir le développement de son modèle de batteries. Pour la Ville de Paris, ce service devait prouver que l'accusation d'ostracisme à l'égard de la voiture était infondée. Autolib' faisait ses débuts en grande pompe en décembre 2011. Depuis, le moral n'est pas au beau fixe...
Utiliser une voiture sans en être propriétaire, cela existe déjà : c'est l'autopartage, organisé par des associations locales dans 90 villes en France. Mais les voitures reviennent à leur point de départ. Autolib' et ses déclinaisons dans d'autres villes, c'est le principe du taxi dont vous êtes le conducteur pour aller d'un point A à un point B et seul le mouvement naturel de la demande arriverait à rééquilibrer le positionnement des véhicules. Deux formules d'abonnement ont été proposées : un titre permanent annuel à 120€ et un titre ponctuel gratuit pour des usages moins réguliers mais avec des barèmes plus élevés. Pour les premiers, le minimum de perception est de de 4,66 € pour 20 minutes, contre 6,33 € pour les seconds. Au-delà, l'usage est facturé à la minute à 23 centimes pour les abonnements annuels et à 32 centimes pour les occasionnels qui doivent également s'acquitter d'un tarif de réservation de 1€. Des tarifs en 2018 moins élevés qu'à l'origine, pour essayer d'attirer plus de monde - en vain - devant l'explosion du déficit.
En cause : des véhicules banalisés de plus en plus dégradés par les utilisateurs, donnant une image médiocre au service, et surtout des usages de courte distance alors que le modèle économique repose non seulement sur un grand nombre d'abonnés et des usages au-delà du forfait. Or Autolib' est d'abord utilisée dans Paris, là où précisément, le besoin est le moins évident du fait de la densité d'offre de transports en commun. Au-delà, la concurrence d'Uber n'est pas négligeable.
Sans compter que la Bluecar, modèle unique du service, n'est pas toujours adaptée à la diversité des besoins : même si la Bluecar offre officiellement 4 places, il ne faut pas être grand pour s'installer à l'arrière, ni très chargé de bagages car le coffre reste celui d'une - petite - citadine. En outre, son autonomie est d'autant plus grande que le temps de recharge est long, mais Autolib' visait une rotation rapide des véhicules : un peu contradictoire. Quant à aller à l'autre bout de la Région avec une Autolib', outre le coût pour l'usager, la concentration du service sur la petite couronne a rapidement douché les plus volontaires. Autre frein à l'usage, la capacité à trouver une voiture à des instants critiques, comme par exemple le dimanche soir à 22 heures à proximité d'une gare : Uber et les transports en commun jouissent - encore - de quelques atouts...
Autolib' a voulu reproduire le même principe de fonctionnement que Vélib', mais si ce dernier est clairement conçu par nature pour des petits trajets avec de fait une rotation rapide des vélos et une gestion relativement aisée des déséquilibres de flux (par des petits camions de transfert ou des primes à l'égard des clients remontant les vélos dans les quartiers escarpés), Autolib' s'est finalement retrouvé pris dans ses propres filets. Maintenat, Bolloré se retourne vers les communes adhérentes au service pour éponger les pertes, de plus de 290 M€ puisque le contrat avait été rédigé de telle sorte que les collectivités supportaient la majorité du risque commercial. La Ville de Paris ne l'entend pas de cette oreille et la fin de ce mois pourrait être fatale à Autolib'.
Bref, les solutions classiques - les associations d'autopartage, le vélo et les transports en commun - ne sont pas dénuées d'intérêt même si elles ont l'inconvénient d'être moins médiatiques...
La Ville de Paris annonce avoir ouvert des discussions avec d'autres potentiels fournisseurs d'un service comparable... mais pour quels réels besoins ? Quand on sait que 40% des déplacements en Ile de France s'effectuent sur une distance inférieure à 5 km, il serait plutôt temps de changer de braquet sur la politique en faveur du vélo (éventuellement assisté) et bien évidemment de miser encore plus qu'aujourd'hui sur les transports en commun : voies réservées aux bus, exploitation par véhicules articulés, tramways, solutions certes classiques d'un autre siècle, mais dont l'utilité ne peut guère être mise en doute.
Lire également l'excellent article du site L'interconnexion n'est plus assurée.