Quand on parle de saturation des transports en commun en Ile de France, on pense d'abord au RER A et à la ligne 13 du métro, tout simplement par leur forte médiatisation. Mais d'autres axes connaissent des difficultés similaires. Un peu moins en lumière, ils subissent les conséquences d'un sous-dimensionnement originel, d'un succès largement au-dessus des prévisions et de modalités d'exploitation insuffisantes.
On évoque souvent le succès du tramway T2, mis en service voici 20 ans entre La Défense et Issy Val de Seine, transformant une anonyme desserte ferroviaire en une ligne appréciée pour sa rapidité et sa commodité. Néanmoins, avec près de 200 000 voyageurs par jour, T2 souffre d'une véritable crise de saturation incarnée par ces rames bondées et cette masse compacte de voyageurs sur le quai de la station de La Défense.
Suresnes - Les Coteaux - 15 septembre 2015 - T2 et son classique arrière-plan sur les tours de La Défense : un succès au-delà de toutes les prévisions et une saturation de plus en plus difficile à gérer. © transportparis
Pourtant, la ligne T2 bénéficie de conditions favorables avec un parcours de 11 km entre La Défense et Issy Val de Seine sur une emprise ferroviaire en site propre intégral et seulement 6 km en voirie. Le service est assuré à l'aide de rames Citadis 302 circulant en UM2, seul cas de tramways de grande longueur en France, et l'intervalle théorique est inférieur à 4 minutes à l'heure de pointe.
La situation est cependant critique sur une large bande de part et d'autre de La Défense : au nord les rames sont bondées dès la station Victor Basch à Colombes, tandis que le long de la Seine, l'accès aux rames devient franchement difficile dès Musée de Sèvres.
Alors quelles solutions ?
Faire fonctionner enfin la priorité aux carrefours !
On ne cesse de le répéter depuis quasiment 5 ans, mais l'une des principales tares du T2 (et en général des tramways en Ile de France) est la gestion apocalyptique de la priorité aux carrefours... à moins qu'il ne faille parler d'excellence dans l'absurdité du fonctionnement des feux. Il va sans dire que la première mesure serait donc de reprendre leur fonctionnement, la seconde étant de renvoyer à ses chères études le coupable du fonctionnement actuel, pouvant être mis au banc des accusés pour nuisances sonores, pollution accentuées et trouble au bon fonctionnement du service public.
La Garenne Colombes - Boulevard National - 2 septembre 2017 - Exemple d'absurdité typiquement francilienne, appliquée au cas du T2. Une voie de tourne à gauche dissociée pour couper les voies du tram... mais pas de séquence de feu dissociée. Conséquence, non seulement les flux "tout droit" et "tourne à droite" ne peuvent pas passer en même temps que le tram, mais le flux "tourne à gauche" n'est pas évacué quand un tramway approche. Tout le monde est perdant... sauf celui qui veut pénaliser les transports en commun et augmenter la pollution. Combien coûterait un feu dissocié pour tourner à gauche ? Quel gain de temps pour tous les autres usagers de la voirie ? Quel gain de tranquillité pour les riverains et les piétons ? © transportparis
A long terme, l'impact de la ligne 15 sera-t-il suffisant ?
La section Pont de Sèvres - La Défense de la ligne 15 aura évidemment un impact sur T2, puisque la nouvelle ligne de métro viendra capter une partie du trafic qui se rabat aujourd'hui sur le tramway. Les stations d'Issy les Moulineaux et de Saint Cloud devraient jouer un rôle important, mais il ne faudrait pas négliger celle du Mont Valérien, qui viendra desservir un territoire ayant aujourd'hui tendance à rejoindre T2 par autobus. Mais avec une mise en service au-delà de 2025, l'échéance est lointaine et le résultat probablement insuffisant, d'autant que le territoire desservi par T2 reste particulièrement dense.
Changer le matériel roulant ?
Les couplages de Citadis 302 proposent 436 places, soit un débit horaire de 7412 places / heure / sens avec 17 passages par heure. Passer de l'UM2 à l'UM3 n'est pas envisageable car il faudrait transformer toutes les stations, une opération peu réaliste sur les sections en voirie, sans compter l'augmentation des besoins de remisage (33 rames de plus de 32 m de long, c'est 1056 m de voies de garage à créer).
Voici 10 ans, avait été étudiée la solution de rames de 65 m "monocorps" pour gagner en capacité par l'élimination des 2 cabines de conduite en position centrale. Les actuels Citadis 302 auraient été reconditionnées et affectées à T7 et T8. Blocage des élus du Val de Marne et de Seine Saint-Denis pour des questions d'image et résultat de la rame XXL peu probant sur le gain de capacité. On remarquera d'ailleurs que les tramways longs produits pour Casablanca et Rabat-Salé ne sont que des rames de 32 m monocabines assemblées têtes bêches. A Budapest, circulent des rames Siemens de 54 m et des rames CAF de 60 m, mais avec une capacité inférieure aux rames actuelles du T2.
Augmenter la fréquence ?
C'est l'hypothèse la plus régulièrement évoquée par les voyageurs. Or avec un intervalle minimal de 3 min 45, la ligne est déjà en limite de capacité. L'organisation irrationnelle des carrefours sur la section La Défense - Pont de Bezons (pas de séquence "tourne à gauche" dissociée) altère lourdement l'exploitation de la ligne, qui plus est avec une priorité aux carrefours qui n'est toujours pas réellement opérationnelle près de 5 ans après l'ouverture de cette extension.
D'autre part, le terminus de la Porte de Versailles, sans arrière-gare, constitue une forte contrainte pour l'exploitation. C'est lui qui donne le tempo. Créer une arrière-gare conduirait à reculer sous le périphérique la station, pénalisant les correspondances avec le métro ou T3. Nous avions proposé une solution alternative : un tracé en boucle, conservant la station actuelle, mais ajoutant une troisième voie parallèle au T3 pour réexpédier les rames par l'avenue de la porte d'Issy. Plus de manoeuvre donc la levée de la contrainte. Mais cette suggestion semble trop en décalage avec les pratiques un peu stéréotypée des tramways français modernes.
Paris - Porte de Versailles - 25 août 2012 - Un des problèmes de la ligne face au besoin d'augmenter la cadence : le terminus en "manoeuvre zéro" de la Porte de Versailles. Pour y remédier, nous proposons une boucle autour du parc des expositions. Audacieux ? © transportparis
Reste une dernière solution : l'exploitation en recouvrement sur la section La Défense - Musée de Sèvres avec 2 demi-lignes superposées à une fréquence de 3 min 45. Les rames venant de Bezons feraient terminus au Musée de Sèvres tandis que les rames venant de la porte de Versailles n'iraient pas plus loin que La Défense.
Condition : créer une troisième voie à quai à La Défense, ce qui implique de condamner la rue Carpeaux et donc de reconfigurer toutes les circulations sous la dalle de La Défense, à commencer par la gare des autobus !
Mais là encore : ce n'est pas pour demain. Conclusion, les voyageurs subiront encore pour de nombreuses années la saturation du T2.