Métro parisien : 120 ans et une image à moderniser
Quand on connaît – un peu – les réseaux d’autres grandes villes du monde, le métro parisien fait un peu peine à voir. Drôle de façon de marquer son 120ème anniversaire, puisque le 19 juillet 1900, à 13 heures, ouvrait dans l'anonymat le plus complet la section Porte de Vincennes - Porte Maillot.
Un métro hors du temps ?
C’est un des rares réseaux anciens à ne pas avoir fondamentalement évolué dans son dimensionnement : la station de 75 mètres et le gabarit à 2,40 m font encore loi, 120 ans après la mise en service de la première ligne. L’allongement des stations à 105 mètres, amorcé en 1929, n’a pas été mené à son terme, alors que les plans d’entreprise de la RATP ont, dès sa création en 1948, prévu de telles opérations sur les axes les plus chargés. Hormis l’extension à 90 mètres seulement des lignes 1 et 4, tous furent abandonnés, parfois sans cohérence (pourquoi la station Mairie de Clichy sur la ligne 13 est à 105 m alors que les autres stations ne sont qu’à 75 m ?).
Paris - Station Sully-Morland ligne 7 - 12 mai 2020 - Les stations à 105 mètres des lignes 7, 8 et 9 des extensions réalisées à partir de 1929 n'ont pas été mises à profit, les stations anciennes étant restées à 75 m. Hormis les encadrements des panneaux publicitaires, il n'y a pas grand chose pour apporter un peu de couleur dans la station.© transportparis
Alors qu’il est au cœur d’une mégapole de 12 millions d’habitants, les quatorze du Métro parisien ont conservé les normes adoptées au cahier des charges de 1898. La ligne 14 va disposer dans les prochains mois de trains de 120 mètres de long, 22 ans après son inauguration ! La ligne 15 sera la première à rompre avec le gabarit de 2,40 m. Mais que de temps perdu…
L’occasion a été ratée dès les années 1920, lors de la construction des lignes 7, 8, 9 et 10, puis de la ligne 11 dans les années 1930. On ne refera pas l’histoire, mais il faudra peut-être adapter le réseau aux besoins de la population et de l’activité économique. Il est nécessaire de créer de nouvelles lignes, certes mais il serait aussi utile de repenser le réseau actuel et des solutions existent pour en améliorer la capacité et le fonctionnement.
Résultat, le métro est fréquemment chargé, parfois saturé… et le niveau d’offre n’est pas toujours à la hauteur ; la vitesse commerciale reste lente. Si, objectivement, il y a assez peu de métros anciens dans le monde à pouvoir proposer des intervalles de 90 à 105 secondes, la desserte en heures creuses, en soirée et le week-end semble être conçue dans l’objectif de proposer un taux de charge identique du lundi au dimanche. L’automatisation de la ligne 1 n’a pas été utilisée à son plein profit, au regard de la charge des trains le samedi et le dimanche (du moins avant la crise sanitaire…). Ajoutons que dans le nombre de réseaux anciens pouvant être comparés à Paris (Berlin et Madrid, principalement), leur histoire a permis de ne pas les cantonner à un gabarit étroit unique ; de ne pas conserver pieusement les stations courtes des origines qui ont été allongées, y compris les stations aériennes ; d’avoir une qualité de service permettant autant que faire se peut, de ne pas rendre le transport pénible et surchargé lors des heures creuses ou de moindre fréquentation.
Paris - Station Réaumur-Sébastopol ligne 3 - 14 avril 2012 - Stations de 75 m et trains de 5 voitures. Le métro parisien reste dans son carcan originel. La station a été rénovée depuis... mais tout en blanc. On note sur le cliché les vestiges du carrossage déposé, restes de la modernisation des années 1960. © transportparis
Madrid - Station Delicias ligne 3 - 17 février 2013 - On peut ici voir l'effet de la modernisation du réseau madrilène. Au second plan, la station d'origine et ses quais étroits et longs de seulement 60 m. Au premier plan, l'extension pour une exploitation avec des trains de 90 mètres. La station dispose d'un éclairage direct, doublé sur la partie récente. Le sol est clair et les murs arborent la décoration classique des stations modernisées en rappelant la couleur de la ligne 3. L'ensemble est simple, efficace... et d'une propreté remarquable ! © transportparis
Un métro qui manque de lumière... et de couleur
L’autre élément forgeant l’image d’un réseau, c’est évidemment l’état des installations et du matériel. Pour les trains, la propreté des rames reste toute relative et on est loin en la matière de l’Espagne, qui constitue probablement une référence en Europe. Passez un mouchoir blanc sur une voiture du métro parisien puis sur une voiture du métro de Madrid. La différence saute aux yeux. La recrudescence des tags sur le réseau parisien reste actuellement sans réponse efficace de la RATP et de la police : la ligne 6 en est particulièrement victime. L’image pour les touristes (même s’ils sont français…) n’est guère flatteuse ! La perception pour les Parisiens, principaux intéressés, est déprimante, voire signe d’un certain mépris à leur égard.
Passons aux ouvrages. Et d’abord l’éclairage. Après une période d’efforts réels, entre 1950 et 1980, pour renforcer l’éclairage des stations et en agrémenter l’aspect désuet alors, il s’avère depuis les années 1990, que les opérations « Renouveau du Métro » rétablissent un quasi-monopole de la faïence blanche (adieu la couleur), doublée d’un modèle de rampe lumineuse procurant un éclairage indirect. Bilan, de nombreuses stations se retrouvent dans une semi-pénombre, faute d’un nettoyage suffisant de ces rampes… et du choix intrinsèque de l’éclairage indirect.
Paris - Station Exelmans ligne 9 - 14 juin 2020 - Forcément, l'éclairage indirect nécessite un soin attentif pour être efficace... mais le nettoyage est notoirement insuffisant. Résultat, nombre de stations ainsi équipées sont plongées dans l'ombre. Comment pourrait-il en être autrement avec une telle couche de crasse ? © transportparis
Dans d’autres stations, notamment sur l’ex Nord-Sud, un modèle différent, formé d’un tube assurant un éclairage vers le haut et vers le bas, bénéficient d’une luminosité bien meilleure, plus agréable et plus rassurante. Dans les stations encore en style Motte, les blocs d’éclairage direct procurent une luminosité plus efficace. Modernité et efficacité ne vont pas forcément de pair.
Paris - Station Notre Dame des Champs ligne 12 - 13 juin 2011 - Le Nord-Sud semble échapper à certains choix peu efficaces de la RATP et les stations sont plus lumineuses grâce à un éclairage direct qui mériterait d'être généralisé à toutes les stations. La voûte et sa décoration sont correctement mises en valeur. © transportparis
Paris - Station Pont Neuf ligne 7 - 14 mai 2020 - Certes le orange est très daté années 1970... mais au moins, il y a de la couleur qui rompt avec le monopole du blanc. La station a conservé la banquette et les rampes lumineuse de cette époque et apparaît moins désuète que d'autres récemment rénovées. © transportparis
Néanmoins, le retour systématique au carrelage blanc, même s’il est neuf, redonne au Métro parisien cet aspect désuet, vieillot à certains endroits, blanc qui devient grisâtre. Il serait utile de revoir les classiques : dès 1910, les anciens réseaux avaient compris qu’il fallait colorer les stations et même à Paris, le Nord-Sud a été avant-gardiste à cet égard …
Venons-en ensuite aux stations. Celles situées à faible profondeur, avec plafond métallique, sont globalement en meilleur état. Les stations voûtées souffrent d’un problème de plus en plus visible d’étanchéité des maçonneries, aboutissant à la formation de concrétions sur les voûtes et à la pose de plaques rivetées dans le carrelage pour détourner des infiltrations. Ces désordres sont très largement répandus sur le réseau et donnent l’image d’une infrastructure mal entretenue, qui manque de moyens. Certes, il y a les effets de cours d’eau souterrains, d’anciens bras de la Seine et les conséquences des multiples chantiers de voirie de la Ville de Paris. Il n’en demeure pas moins que le métro parisien donne une impression de saleté et d’entretien insuffisant qui atteint des niveaux historiquement élevés depuis sa création.
Alors, à 120 ans, il est peut-être plus que temps d’envisager l’avenir d’autant que la réalisation des stations du Grand Paris Express risque de provoquer un choc visuel considérable accentuant l’obsolescence du réseau historique.
RER : lui aussi a besoin d'une modernisation
Quant au RER, outre l’ambiance sinistre de Châtelet Les Halles, où l’impression de travaux non achevés est persistante, la situation des gares de la ligne A, notamment Etoile, Auber et Nation, n’est guère reluisante. Les couloirs d’Etoile, station qui se doit d’être exemplaire par son importante chalandise touristique, sont demeurés dans leur jus 1970. Un seul a été pour l’instant rénové et de façon pour le coup relativement réussie. A l’intérieur, les mosaïques sont non seulement dépassées dans leur allure mais aussi sales. Idem pour les rampes d’éclairage envahies par la poussière. Que la décoration soit datée est une chose, qu’elle ne soit pas entretenue n’est pas admissible.
Paris - Station Châtelet les Halles - 2 août 2019 - Que c'est triste... et en plus, c'est mal fait, avec en de multiples endroits des câbles qui pendent. Le noir au plafond et l'éclairage blanc froid essaient de cacher la misère mais cela ne fait pas illusion. Le sol noir ajoute de la morosité à la monotonie... © transportparis
Les travaux de rénovation prennent du temps. Certes, ils sont complexes. A Auber, voilà plus de 2 ans que les quais ont leur largeur réduite par des palissades de chantier. La réfection de la voûte de la salle d’échange progresse avec lenteur. La fermeture du couloir de correspondance vers Opéra pendant 2 ans coûte aux voyageurs près de 10 minutes de perte de temps, sans compter l’inconfort engendré. A Nation, les célèbres assises en confessionnal ont été cachées derrière une palissade de chantier. Même avant le confinement sanitaire, les travaux de rénovation des gares (pensons à Vincennes, Nanterre Ville) accusaient un retard important, n’offrant que des conditions précaires aux voyageurs, qui semblent un peu trop oubliés.
Paris - Station Nation RER A - 13 avril 2017 - Et tout d'un coup, nous voici replongé en 1969. Le métro, ce n'est pas qu'un lieu fonctionnel, c'est aussi - en principe - un lieu qui vit au rythme de son époque et de ses styles architecturaux. La salle d'échanges du RER A de Nation est en ce sens à préserver car elle est parfaitement représentative de son époque. © transportparis
Paris - Station Charles de Gaulle Etoile RER A - 12 juillet 2020 - Il était dans un état peu reluisant, d'origine 1970 et passablement encrassé. La rénovation de cet accès donnant sur les Champs-Elysées était d'autant plus nécessaire qu'il est particulièrement emprunté - du moins en période normale - par de nombreux touristes. Il y a quand même beaucoup de noir : peut-être qu'un renouvellement du mur publicitaire donnera à terme un peu plus de couleur à l'ensemble. © transportparis
Cette image peu reluisante des réseaux souterrains est inquiétante car elle accentue auprès du public la tentation d’un néo-individualisme en matière de déplacements, au détriment des transports publics. Le fonctionnement des transports en commun franciliens est difficile pour de multiples raisons, dont certaines sont extérieures aux opérateurs : si des éléments qualitatifs ne viennent pas « compenser », en attendant l’effet d’actions de fond tributaires de l’octroi des budgets nécessaires, un reflux et un retour aux solutions individuelles (au premier rang desquelles la voiture !) serait complètement contradictoire avec les enjeux environnementaux et sociétaux.