Paris : les déséquilibres de l'espace public
C'est un article du Monde qui a attiré notre attention. Il compare la part de marché des différents modes de déplacement et la répartion de l'espace public sur le territoire de la seule ville de Paris. Alors que la piétonnisation des voies sur berge crée une fronde des élus de banlieue contre la ville de Paris, ces chiffres vont assurément bousculer les idées reçues...
Près d'un déplacement sur deux est effectué sans mode de transport mécanisé, tout simplement en marchant. L'analyse est un peu biaisée quant à l'utilisation des transports en commun car dans le tiers en question, figurent pour bonne partie les trajets en métro ou en RER, qui ne sont donc pas consommateurs d'espace public en surface... puisqu'ils sont essentiellement souterrains, et quand ils sont aériens, ils dégagent tout de même un espace public utilisable pour d'autres usages. Bref, attention, comparaison n'est pas forcément raison !
Ainsi, trottoirs et rues piétonnes représentent 1400 ha contre 1419 ha de voies de circulation générale, et globalement 1500 ha d'espace public pour les déplacements motorisés (voitures, scooters et autobus). Sachant qu'un piéton occupe environ 0,5 m² alors qu'une automobile nécessite en moyenne 8 m² pour une occupation moyenne de 1,1 voyageur, soit 7,2 m² en moyenne par voyageur, l'écart de partage trouve une explication dans la consommation unitaire d'espace par voyageur.
La comparaison n'est cependant pas aussi simple que cela : il apparaît tout de même un déséquilibre entre la part de marché du déplacement à pied et l'espace qui lui est accordé par l'aménagement de la voirie. Pas aussi important que ne le laisse sous-entendre l'analyse faite par l'article du Monde, mais suffisamment de façon à légitimer une interrogation sur une évolution du partage de la voirie.
Concernant les déplacements motorisés, l'absence de distinction entre la part du marché des transports en commun de surface (autobus et tramway) et souterrains (métro et RER) rend plus difficile l'identification du déséquilibre et peut amener à des contresens. Une lecture trop raccourcie aboutirait à considérer que la moitié de la voirie est dévolue à des modes de transports représentant 45% des déplacements. Or dans les 34% de part de marché des transports en commun, il y a d'abord le métro et le RER ! D'après l'Observatoire de la Mobilité en Ile de France, ils représentent à eux deux 70% des déplacements en transports en commun dans Paris. Par conséquent, la part de marché des autobus et tramways dans Paris serait de 30% des 34% identifiés ci-dessus, soit 10,2%. Et ils n'utilisent pas que les couloirs réservés.
Ainsi, la moitié de la voirie est dévolu à des modes de transports (voiture, autobus, deux roues motorisé, vélo, taxi) qui ne représentent que le quart des déplacements dans Paris.
On imagine aisément que pour les communes de banlieue, le déséquilibre est encore plus important... ce qui témoigne de l'ampleur du changement à engager dans les pratiques de mobilité des citadins.
Cette comparaison partielle, et même un peu biaisée, pose donc la question de la capacité à engager une évolution dans le choix modal de déplacement sans changer fondamentalement le modèle d'aménagement urbain (les orientations du Grand Paris étant toujours fondées sur l'accès à des zones éloignées grâce à une augmentation de la vitesse de déplacement). On peut ajouter des pistes cyclables et des couloirs de bus de façon statistique, et parfois même de façon pertinente... mais pour quel impact sur la relation au territoire ?
Cette fermeture des voies sur berge - d'abord symbolique plus que liée à une rationalité technique - ne peut être envisageable que dans un processus d'évolution du rapport entre la ville et son territoire, à la maîtrise du volume et de la longueur des déplacements, et in fine du choix modal, ce qui ne peut pas de décider de façon nombriliste à l'échelle de la seule Ville de Paris : il ne faut pas mettre la cerise tant qu'on n'a pas fait le gâteau...